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L’Autriche n’était pas moins cruellement atteinte dans les autres parties de sa domination. Pour lui ôter toute influence sur la Suisse comme sur l’Italie, on lui arrachait le Tyrol, que l’on réunissait à la Bavière. La cour impériale était contrainte de reconnaître le titre royal, avec une entière parité de droits, à cette maison électorale de Bavière, dont l’empereur Napoléon s’était servi dans la précédente campagne comme d’un coin pour entamer l’Allemagne et pour pénétrer au cœur des domaines héréditaires. Une couronne royale était aussi posée par la main de la France sur le front des princes de Wurtemberg et de Saxe, qui n’avaient vu dans nos victoires qu’un moyen de profiter de l’abaissement de la maison d’Autriche et de recueillir ses dépouilles. Ainsi l’empire germanique se trouvait déjà virtuellement dissous de fait, et le protectorat de l’Allemagne transporté de Vienne à Paris. Pendant que la maison d’Hapsbourg-Lorraine voyait crouler sa puissance dans les champs de la Moravie et perdait son vieux patronage sur l’Allemagne méridionale et catholique, l’un des actes diplomatiques les plus tristement célèbres de ce temps livrait à la France l’honneur de la maison de Hohenzollern, et arrachait à la Prusse un prestige ménagé depuis douze ans avec une impassible habileté. Le roi qui, à la veille de la campagne d’Austerlitz, avait, sur le tombeau de Frédéric II, pressé dans sa main celle d’Alexandre et juré de confondre sa cause avec celle de la Russie et de l’Allemagne, recevait des mains du dominateur du continent l’électorat de Hanovre en échange de quelques possessions territoriales destinées à commencer l’érection de ce vaste édifice de fiefs militaires qui devenait pour le chef de la grande armée une conséquence et une obligation de sa victoire[1] : acte sans excuse où la faiblesse le dispute à l’ambition, et qui, au grand détriment des intérêts de la France comme de l’Europe, allait obliger un peuple généreux à porter sa honte et son désespoir dans les champs d’Iéna.

La déchéance morale de la Prusse était donc dès les premiers jours de 1806 aussi irrémédiablement consommée que la destruction de la puissance militaire de l’Autriche, et l’Allemagne, bien moins atteinte encore par le sort des armes que par la défection richement payée de ses principales maisons princières, ne pouvait se refuser à reconnaître pour suzerain le prince qui, sacré à Paris par Pie VII, était allé lui-même, sous le dôme de Milan, se poser la couronne de fer sur la tête.

Le traité de Presbourg avait virtuellement dissous l’empire germanique par ce seul fait, qu’il y fondait trois nouvelles royautés indépendantes du chef de l’empire, et qu’il soumettait aux diverses

  1. Traité de Schœnbrunn du 15 décembre 1805.