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Ce qu’on avait attendu du consulat, ce qu’il avait réalisé au-delà de toutes les espérances, c’était un gouvernement fort et modéré, avec une situation prépondérante, mais régulière et pacifique au dehors. On avait cru fermement que la constitution de l’an VIII était en mesure d’assurer au pays le premier de ces bienfaits, et les traités de Lunéville et d’Amiens avaient été conclus dans la pensée de lui garantir l’autre. Nous avons dit comment des difficultés inextricables sortirent sitôt après la conclusion de ces actes diplomatiques, non de leurs stipulations à peu près irréprochables, mais du silence gardé sur certains faits en complet désaccord avec l’esprit de ces stipulations elles-mêmes. Donner pour frontières à la France les Alpes, le Rhin et l’Escaut, c’était réaliser la plus magnifique de ses ambitions, sans porter cependant aucune atteinte à l’indépendance et à la dignité des autres peuples. Aller plus loin, prétendre conserver sous son patronage direct et dans une sorte de vasselage politique et militaire tous les états de l’Italie, mander à Paris les députés de la Suisse et dicter à ce pays des lois fort sages d’ailleurs, mais qui impliquaient une manifeste dépendance et l’abjuration de son antique neutralité ; donner une constitution à la Hollande, et tenir sous sa main ses arsenaux et ses chantiers ; prendre l’engagement moral de soutenir non-seulement contre les agressions de l’étranger, mais contre celles des partis, les divers gouvernemens érigés par la France à Berne, à Amsterdam, à Florence et à Milan, c’était rendre inévitable son intervention quotidienne dans les affaires de la moitié du continent, en armant nécessairement l’autre moitié contre soi.

La facilité que laissait à Napoléon le silence des traités sur des questions capitales fut la première tentation offerte à un homme de guerre, qui, une fois engagé dans la voie des interprétations léonines, marcha sur les argumens diplomatiques aussi résolument que sur les escadrons ennemis. On sait par quel enchaînement d’entreprises consommées en Piémont, en Ligurie, dans la république cisalpine, en Suisse et dans l’empire germanique, de 1801 à 1804, l’Europe se trouva conduite à reprendre contre le vainqueur de Marengo le cours d’hostilités dont la cessation avait été partout accueillie avec ivresse, et l’on a vu l’Angleterre, humiliée du résultat d’une paix durant laquelle la France s’étendait, plus que pendant la guerre, recommencer, en violant un traité solennel, une lutte dans laquelle elle eut dès le premier jour la sympathie de tous les cabinets en attendant leur actif concours.

Lorsqu’on observe l’attitude du gouvernement français à la reprise des hostilités avec l’Angleterre, à l’heure suprême où se prépare l’érection du trône impérial, on ne saurait se tromper en effet sur l’opposition invincible, quoique secrète encore, qui séparera le nouvel empire