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nouvelle. L’ombre, la fraîcheur et le silence conviaient à la rêverie, et laissaient errer l’esprit au milieu de ce pétillement sourd et mystérieux qui est la vie de la nature, et que le génie de Beethoven a pu seul reproduire dans la première partie de la Symphonie pastorale. Lorenzo cheminait lentement, savourant en lui-même les plus douces espérances, lorsqu’une voix un peu fruste se fit entendre au loin. — Trà, là là….. Et ce refrain, qui terminait une cantilène villageoise, se répandit dans les sinuosités du chemin comme la vibration prolongée d’un instrument rustique.

Après un instant de silence, la voix reprit son élan et fit entendre de nouveau les mêmes notes, — là... là,... lesquelles, suspendues longtemps dans les airs, exhalèrent un parfum de gaieté franche et naïve qui fixa l’attention de Lorenzo, parce qu’il crut reconnaître la voix de Giacomo. C’était lui en effet qui s’en venait à califourchon sur un âne en chantant comme un bienheureux. — Eh! viva, il nostro caro Lorenzo! lui dit-il en l’apercevant. Qu’il y a longtemps qu’on ne vous a vu, per Bacco! et comme vous voilà grandi! pourquoi donc oubliez-vous ainsi vos amis de La Rosâ, où nous parlons si souvent de vous ? Hier encore je disais à Zina, que vous connaissez, que je voudrais voir ce brave Lorenzo depuis qu’il est devenu un bel signore et aussi savant, dit-on, que le curé de Cittadella. — Ah! répondit-elle, il ne pense guère à nous, povra gente; nous n’avons ni le langage ni les belles manières des cavalieri parmi lesquels il vit.

— Vous me faites injure, mon cher Giacomo, en me prêtant de tels sentimens, répliqua vivement Lorenzo. Je ne suis point un signore, comme vous voulez bien le croire, et je suis loin d’avoir oublié les bonnes gens qui m’ont vu naître et qui ont entouré mon enfance d’une affection si cordiale.

— Il ne faut pas vous fâcher de mes paroles, répondit Giacomo avec bonhomie, car je ne pensais point à mal en vous rapportant les caquetages de cette mauvaise langue de Zina, qui vous aime bien pourtant, et qui est toute fière d’avoir été pour quelque chose dans votre bonheur. Vous rappelez-vous, caro Lorenzo, cette belle nuit de Noël où nous fûmes introduits pour la première fois à la villa Cadolce ? Avec quelle présence d’esprit Zina répondit aux questions que lui faisait la signora sur votre compte ! Dame !... il y a déjà quelques années de cela, et vous avez bien changé depuis lors, per Bacco! Vous voilà comme le fils de son excellence, et puisqu’on a vu des rois épouser des bergères, pourquoi donc la fille du sénateur n’épouserait-elle pas...

— Est-ce que tu t’imagines, Giacomo, que les choses de ce monde se passent comme dans la belle histoire de Silvio et de Nisbé, que je t’ai entendu raconter si souvent ? répondit Lorenzo en coupant