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de Mme de Longueville, Mme de Châtillon, servant les intérêts sordides de celle-ci[1], parce qu’elle servait ceux de son dépit, ce déplorable passage a été scrupuleusement conservé. Le portrait de Mme de Longueville se transformant dans les sentimens de ceux qui avaient pour elle une adoration particulière et recevant la loi, au lieu de la donner, a disparu, et nous le regrettons vraiment, car il était d’une touche trop fine pour n’être pas de La Rochefoucauld, et, sans le vouloir, très flatteur pour Mme de Longueville, qu’il montrait au moins désintéressée et dévouée. À la place de ce portrait, il y a deux ou trois pages nouvelles, aussi fort bien tournées, où les origines et, du côté de La Rochefoucauld, les raisons fort peu chevaleresques de la liaison si mal terminée sont racontées dans le plus grand détail, et, il faut bien le dire, avec une rare effronterie. Enfin partout dans ce manuscrit, et particulièrement aux endroits les plus coupables, l’excellence du style trahit la main de La Rochefoucauld. Non, certes, ce n’est pas l’académicien Jacques Cérizai ou Serizay, intendant de la maison de La Rochefoucauld, disciple assez fade de Balzac et mort d’ailleurs en 1654 : ce n’est pas Vineuil, l’auteur maniéré et médiocre des portraits de Mme Cornuel et de Mme d’Olonne dans les Portraits de Mademoiselle ; ce n’est pas Saint-Evremond, étranger à cette société ; c’est La Rochefoucauld lui-même qui seul a pu écrire tout ce qui se rapporte à Mme de Longueville, à ses qualités, à ses défauts, à son histoire secrète, parce que seul il en avait une aussi exacte connaissance.

Mme de Longueville ne s’y trompa point : elle reconnut parfaitement La Rochefoucauld, et pour lui faire un très mauvais parti, elle n’avait qu’à dire un mot à son frère Condé, déjà fort irrité pour son propre compte : mais ce mot, elle se garda bien de le dire. Triomphe admirable de l’esprit chrétien sur tous les sentimens de la nature ! Cette fière créature qui avait lutté contre la royauté, bravé l’exil, la mer et la guerre civile, qui, enfermée dans Stenay et enveloppée par une armée victorieuse, ne s’était pas rendue, et à force de courage avait un moment triomphé de la fortune et de Mazarin, courbait alors la tête sous le joug de la croix. Elle venait de se remettre entre les mains de l’austère Singlin, et sous ce maître consommé elle avançait à grands pas dans les voies de la perfection chrétienne. Elle s’appliquait à combattre celui de ses défauts qui l’avait tant égarée, cet amour-propre habile à prendre toutes les formes, tantôt celle de la

  1. C’est La Rochefoucauld qui l’encouragea à se partager à peu près entre Nemours et Condé, à garder Nemours pour son cœur et Condé pour sa fortune, et qui porta ce dernier à donner en toute propriété la terre de Merlou à sa belle cousine.