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Longueville n’a pas répondu comme elles, et on espère quelque jolie lettre, un peu subtile, mais d’un agrément suprême, à mettre à côté de la charmante lettre de la duchesse de Schomberg. Vaine espérance ! Toutes nos recherches n’ont abouti qu’à la découverte de quelques billets dont le plus grand intérêt est de faire voir à quel point Mme de Longueville était changée.

Convertie en 1654, à trente-cinq ans, à la suite des plus violens chagrins de tout genre, Mme de Longueville s’était comme précipitée dans la dévotion : elle avait rompu avec tout ce qui lui pouvait rappeler le passé et la rengager dans le monde. En se rapprochant en 1660 de Mme de Sablé, elle n’avait pas voulu revoir La Rochefoucauld. Elle n’en parle jamais, et ce nom ne se rencontre pas une seule fois dans cette correspondance de quinze années. En était-il toujours ainsi dans les entretiens intimes ? Tout à l’heure on verra que non. Peut-être, à l’insu même de Mme de Longueville, le charme qui l’attachait à Mme de Sablé tenait-il encore à La Rochefoucauld, et trouvait-elle un plaisir secret à écouter ce que lui en pouvait dire, même à demi-mot, une personne qui était entrée autrefois dans leurs tendresses et qui leur était un dernier lien. Que peuvent signifier en effet, surtout dans les commencemens de leur nouveau commerce, ces désirs si vifs qu’exprime à tous momens Mme de Longueville d’être auprès de son amie pour lui ouvrir son cœur, et le lui laisser voir tout entier, comme dans l’ancien temps ? Cela ne se peut guère rapporter qu’à La Rochefoucauld, lui dire du mal, c’était en parler, c’était y penser encore. On ne devait pas, on ne voulait pas le revoir, mais on n’était pas fâchée de savoir de ses nouvelles, d’être au courant de ses affaires, peut-être même de ses nouveaux sentimens.

Mais combien ce cœur si délicat et si fier ne dut-il pas être blessé lorsqu’en 1662 parurent les Mémoires où La Rochefoucauld livrait à la malignité publique les faiblesses les plus cachées de celle qui s’était donnée à lui ? Jamais outrage ne fut plus inattendu et plus révoltant. Encore s’il était parti d’une âme récemment offensée, et qui, dans le premier emportement, se soulage par la vengeance ! mais non : La Rochefoucauld écrivait ses Mémoires au sein de la vie la plus heureuse, ayant parfaitement oublié ses anciennes amours et en méditant de nouvelles. Il ne fait paraître aucun reste de passions d’aucune sorte ; il n’est ni frondeur ni royaliste ; il juge et il peint tous les partis avec la facile impartialité et le sang-froid impitoyable de l’indifférence ; il n’est occupé que de lui-même et du soin de se composer un personnage intéressant. Hors de là, il est très véridique, et c’est un des meilleurs guides à suivre dans l’histoire de la fronde, avec Mme de Motteville et surtout M. de Montglat. C’était la