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Longueville eut la force de surmonter ses propres émotions pour partager celles de Mme de Sablé :


« De Rouen, ce 2 mai 1663.

« Je n’ai garde d’estre plus longtemps sans vous escrire pour vous dire combien je sens pour vous aussi bien que pour moi la mort de cette pauvre comtesse de Maure. Je comprends si bien ce que cet accident peut produire en vous par tant de raisons, que j’en suis toute transie[1] quand j’y pense. Si mes prières estoient bonnes, je vous assure que je les offrirois de bon cœur à Dieu pour vous soulager. En vérité, c’est une grande perte que celle de cette pauvre femme. Je demande partout où je puis des particularités de sa mort, je veux dire celles qui regardent ses dispositions vers Dieu. J’en ai demandé à M. le comte de Maure, quand il sera en estat de le pouvoir faire. Sa douleur m’est si présente et si sensible, qu’il ne se peut davantage. Je ne sais s’il aura reçu ma lettre, car on me mande qu’on ne sait où il est : je prie Nostre-Seigneur qu’il l’assiste. Je ne sais quasi ce que je vous dis, estant dans un tel abattement de corps et d’esprit que je n’en puis plus, car je suis partie malade de Paris, et vous jugez bien que mes occupations présentes ne me guérissent pas. »


Après la mort de son mari, Mme de Longueville vint s’établir à Paris et se consacrer à l’éducation de ses enfans. Elle vendit au roi le vieil hôtel de la rue des Poulies, lorsqu’on voulut achever le Louvre et bâtir la fameuse colonnade, et elle acheta, rue Saint-Thomas-du-Louvre, l’hôtel que le duc d’Epernon avait récemment acquis de Mme de Chevreuse, et qui depuis a reçu et longtemps conservé le nom d’hôtel de Longueville. Elle avait aussi un logement dans la première cour du couvent des carmélites de la rue Saint-Jacques, et l’hiver, quand elle était à Paris, elle y allait faire de fréquentes retraites. Elle était donc à deux pas de Mme de Sablé, et leur commerce devint plus assidu et plus intime. Vivant si près l’une de l’autre, c’était dans leurs entretiens qu’elles répandaient ce qu’elles avaient dans l’âme, revenaient sur les événemens auxquels elles avaient pris part, sur leurs affections, sur leurs fautes, et qu’elles se disaient de ces choses que nous aimerions tant à recueillir, soit pour l’histoire du XVIIe siècle, soit pour celle du cœur humain, et surtout du cœur de la femme. Leurs lettres devaient être d’autant plus vides, que leurs conversations étaient plus fréquentes et plus remplies. Quelquefois ce ne sont que des billets assez courts où Mme de Longueville donne des nouvelles de sa santé, s’enquiert de celle de son amie, s’invite ou refuse à dîner et raconte les détails de son intérieur, souvent

  1. Mme de Longueville se sert souvent de cette forte expression, alors aussi usitée au figuré qu’au propre. Pascal a dit : « J’entre en une vénération qui me transit de respect envers ceux qu’il semble avoir choisis pour ses élus. » Voyez notre Pascal, p. 444.