Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/876

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seul billet de la grande Mme Angélique, morte en 1661, au commencement de la persécution, et avant d’avoir eu à signer le fameux formulaire ; mais il y en a plusieurs de sa digne sœur, la mère Agnès Arnauld, et de sa nièce, la mère Angélique de Saint-Jean, qui ont gouverné tour à tour la sainte maison dans l’une et l’autre fortune. Ces billets sont écrits à la hâte et sans aucune prétention ; aussi rien de bien saillant, mais toujours du naturel et un naturel aimable, et une nuance de délicatesse féminine ajoutée à la gravité des Arnauld. Les portefeuilles de Valant contiennent aussi deux petits billets fort agréables de la sœur Marthe la carmélite, Mlle du Vigean, l’Aurore de Voiture, la Valérie de Somaize[1], et plus d’une lettre d’une autre mère Agnès, bien faite pour être comparée à la sœur d’Arnauld, la mère Agnès de Jésus-Maria, Mlle de Bellefond, dont l’esprit est si vanté par Bossuet et par Mme de Sévigné, qui s’y connaissaient apparemment. Mais pour tirer de la mère Agnès tout ce qui était en elle de force, d’élévation ou de délicatesse, il fallait des circonstances heureusement rares, ou la longue lutte de Mlle d’Épernon contre sa famille, ou le désir d’arracher à la cour Mlle de La Vallière et de la purifier dans les pénitences du Carmel. C’est alors que l’humble servante de Dieu trouvait ces accens persuasifs et touchans qui revivent dans plusieurs lettres de Bossuet ; mais d’ordinaire elle ne montrait qu’une grande justesse, de la sérénité et même un certain enjouement, et ce n’était vraiment pas sa faute si elle ne pouvait rien écrire qui ne trahit par quelque endroit une nature distinguée. Quand la sainte prieure Marie-Madeleine, autrefois la charmante Marie de Bains, tomba gravement malade en 1673, Mme de Sablé, qui l’avait fort connue à la cour de Marie de Médicis, ne pouvant ou n’osant aller la voir à l’infirmerie des Carmélites, lui envoya son portrait[2], pour récréer les yeux et l’esprit de la malade de l’image et du souvenir d’une amie. Elle était représentée jeune encore et assez parée. Le gracieux portrait fut reçu avec toutes sortes d’honneurs, et la mère Agnès raconte cette petite scène à l’ancienne précieuse avec un agrément qui n’est pas exempt aussi de quelque préciosité.


« Lundi, 14 juillet 1673[3].

« Madame la marquise de Sablé a été la très bien-venue dans l’infirmerie de notre bonne mère. Elle l’a fait parfaitement bien souvenir de sa chère sœur et moi très bien aussi du jour qu’elle avoit des fleurs de jasmin et de grenade mêlées avec ses cheveux, ensuite de ce que l’on a vu et de tout ce

  1. Voyez le Grand Dictionnaire historique des Précieuses, t. II, p. 195, et la Clef, p. 36 ; Mlle du Vigean y est donnée comme une ancienne précieuse du temps de Valère (Voiture).
  2. ) Preuve certaine qu’il ne manquait pas de portraits de Mme de Sablé au XVIIe siècle.
  3. Portefeuilles de Valant, t. VII, p. 372.