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à désirer sous le rapport de l’administration, et surtout de l’organisation religieuse. Ce dernier sujet est le texte des rares publications à l’aide desquelles les Bulgares se mêlent au mouvement littéraire et politique dont Belgrade est le centre ; ils demandent qu’un clergé national soit substitué au clergé grec, dont ils ont fort à se plaindre. Les Bulgares sont patiens, avons-nous dit : ils savent que l’attention est éveillée sur le sujet de leurs plaintes et que leur cause est gagnée dans l’opinion. La Porte comprendra les motifs qui l’engagent à prendre soin de ce grand intérêt religieux dans lequel se confond la pensée nationale, et auquel se borne pour le moment l’ambition des Bulgares. La certitude qu’ils ont d’obtenir satisfaction à Constantinople aussitôt que la crise actuelle sera terminée contribuera à les maintenir dans cette patience qui leur est habituelle.

Ce rapide aperçu de l’esprit des populations slaves de Turquie dans la crise actuelle ne serait pas complet si nous passions sous silence les Monténégrins, qui peut-être ont été l’une des principales causes de cette formidable crise. C’est du moins la guerre survenue entre le Monténégro et la Porte qui a fourni à la Russie le prétexte de ses arméniens. On se souvient toutefois que la paix a été conclue par l’intermédiaire de l’Autriche avant l’arrivée du prince Menchikof à Constantinople, et c’est, on n’en saurait douter, parce que cette occasion de faire acte de protectorat politique a manqué à la Russie que cette puissance s’est engagée avec tant d’opiniâtreté dans la poursuite du protectorat religieux. Nous le répétons, la paix s’est faite sans la participation de la Russie, et il était dans la nature des choses que l’influence russe au Monténégro en fût atteinte au profit de l’influence autrichienne. Cette particularité n’a point été remarquée par les écrivains qui, comme M. Marmier, dans ses Lettres sur l’Adriatique et le Monténégro, viennent nous dire que le Monténégro est en ce moment « un obus chargé dont le tsar tient la mèche. » Aussi bien M. Marmier n’a-t-il point prétendu recueillir des impressions politiques dans le nouveau pays qu’il vient de parcourir ; autrement il eût remarqué un fait sur lequel on ne saurait trop insister lorsque l’on parle des Slaves : c’est que le penchant qu’ils ont pu par instans témoigner pour la Russie n’a jamais été qu’un pis-aller. Lorsqu’ils désespèrent d’obtenir par eux-mêmes la satisfaction de leurs griefs, alors ils acceptent la médiation de la Russie, toujours prête à s’offrir ; mais ils ne se sont pas plus tôt laissés aller à cet acte de désespoir, qu’ils tremblent devant les conséquences d’un entraînement irréfléchi. Nous avouons que l’influence de l’Allemagne ne leur est pas sympathique ; mais on a pu observer que partout où l’influence française a cherché à s’exercer chez eux, les Slaves de Turquie l’ont toujours acceptée de préférence à celle de la Russie. Si l’histoire des Monténégrins au temps de notre domination en Dalmatie semble prouver le contraire, c’est qu’il y avait eu de la part des autorités militaires françaises beaucoup de légèreté dans leurs appréciations sur le Monténégro et peu de ménagemens dans leurs rapports avec lui. Quant à ce qui regarde l’état présent des choses dans la Turquie d’Europe, l’action de la France n’est pas sensible chez les Monténégrins ; mais avertis par le courant d’idées qui s’est emparé de toute l’Europe occidentale et centrale, ils commencent à s’éloigner, eux aussi, de la puissance dont ils n’avaient été jusqu’à ce jour que les instrumens, et