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créant une junte et le reste. M. Elias s’est décerné le titre de chef politique du pays, mais en même temps une de ses habiletés a été de ne prendre ce titre que provisoirement et de désigner pour le pouvoir le général Ramon Castilla. M. Elias réussira-t-il ? S’il n’a point gagné quelques troupes, il est fort probable qu’il disparaîtra avec sa junte au premier choc. S’il est parvenu à suborner quelque corps de l’armée, comme on le dit, alors la lutte peut devenir plus sérieuse. Rien n’indique jusqu’ici que le général Castilla, dont on a pris le nom, soit en connivence avec l’auteur de ce mouvement. Le général Castilla d’ailleurs, qui a eu l’honneur d’arracher le Pérou aux convulsions politiques et de donner le premier exemple de la transmission régulière du pouvoir, ne se prêterait point à une révolution. Cependant, si une guerre civile s’ensuivait, il ne serait point impossible que son nom ne fût de nouveau invoqué par tous les partis. Sur quoi, au surplus se fonde cette tentative de révolution ? La seule raison sérieuse, c’est la gravité réelle de la situation financière du Pérou. Il est certain que, depuis quelque temps, le Pérou a vu s’accroître sa dette tout intérieure qu’extérieure d’une manière considérable par des liquidations qui sont justement un des griefs des ennemis du gouvernement. Récemment encore il se reconnaissait débiteur des anciens états de la Colombie pour le secours qu’il en avait reçu lors de la guerre de l’indépendance. Il est question aussi d’une dette à reconnaître à l’égard de l’Espagne. Comment le Pérou y suffira-t-il ? Là est la question. Dans tous les cas, une révolution n’y remédiera guère, et si le gouvernement est accusé de dilapidations et d’abus dans le maniement des finances, une insurrection ne fera qu’ajouter d’autres dilapidations et d’autres abus à ceux qui ne sont jusqu’ici rien moins que prouvés. Une circonstance plus grave de ce mouvement, c’est qu’il se produit au moment où, comme nous le disions, le Pérou est en guerre ouverte avec la Bolivie. Déjà même le président bolivien, le général Belzu, a fait une incursion sur le territoire du Pérou, à Pomata. Heureusement le général Belzu a, lui aussi, ses menaces de révolution. Un mouvement s’est déclaré contre lui dans les provinces boliviennes de Chuquisaca et de Tarija, de sorte que la guerre peut se trouver suspendue pour cause de révolution des deux parts. Cette circonstance peut avoir son côté favorable en ce qu’elle peut permettre au Chili de reprendre avec plus d’efficacité la médiation qu’il avait proposée aux deux gouvernemens. On voit à quelle série d’interminables et vulgaires convulsions semblent vouées ces contrées, pour lesquelles souvent dix ans de paix et d’ordre ne sont point un préservatif suffisant contre le retour de l’anarchie. ch. de mazade.