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Peut-être faudra-t-il compter aussi avec les Orientaux. En Chine, disent les missionnaires[1], il va maintenant des hommes qu’on appelle des regardeurs d’or, « parce qu’ils ont une capacité remarquable pour découvrir les gisemens de ce métal, en se guidant d’après la conformation des montagnes et l’espèce des plantes qu’elles produisent. » Quoique l’extraction de ces minerais, monopolisée sans doute par le gouvernement, soit prohibée sous les peines les plus sévères, elle est pratiquée en contrebande avec une inconcevable effronterie. En 1841, un regardeur d’or ayant signalé un gisement dans une petite principauté tartare située au nord de Péking et appelée le royaume de Ouniot, les aventuriers et les bandits accoururent de toutes parts et se trouvèrent bientôt au nombre de plus de douze mille. « La montagne presque tout entière passa au creuset : l’or en fut extrait en si grande quantité, qu’en Chine sa valeur baissa tout à coup de moitié. » On ne se débarrassa de ces mineurs improvisés qu’en envoyant contre eux un corps d’armée qui les châtia impitoyablement : ceux qu’on traita avec le plus d’indulgence eurent les yeux crevés. Quoique les Chinois défendent la sortie de l’or, ces trouvailles soudaines, assez abondantes pour faire baisser de moitié le prix du métal, ne seront sans doute pas sans influence sur les marchés d’Amérique et d’Europe.

Ce n’est pas tout encore. Pendant le cours de l’année dernière, des découvertes de gisemens aurifères ont été signalées en nombre d’endroits : à la Nouvelle-Zélande, dans les îles de la Reine-Charlotte, à la Nouvelle-Grenade, au Guatemala, sur les bords du fleuve des Amazones, au Canada, en Turquie. On a annoncé enfin, il n’y a pas huit jours, que la France allait avoir aussi son Eldorado. On vient, dit-on, de prendre possession en son nom d’un groupe d’îles situé dans la Mer du Sud, entre l’Australie et le continent américain, sur l’espoir que la plus grande de ces îles, appelée Nouvelle-Calédonie, recèle aussi des mines d’or !… L’esprit est confondu ; c’est à se demander si l’on n’est pas dupe de quelque hallucination contagieuse.

Beaucoup de personnes comptent sur le développement du luxe pour atténuer les inconvéniens dont nous menace la surabondance de l’or. Un bois dont on a fait un meuble est retiré de la circulation, et ne revient plus sur le marché où se règle le cours de la matière première. En est-il ainsi des métaux précieux transformés en bijoux ou en ornemens de table ? Il est permis d’en douter. Nous inclinons à croire que les prix courans de l’or et de l’argent se règlent au money-market, non pas seulement d’après le nombre des médailles monétaires,

  1. Souvenirs d’un Voyage en Tartarie, par M. Huc, prêtre-missionnaire, qui se trouvait en 1841 dans le royaume de Ouniot.