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irait le chercher, si on lui promettait de lui donner pour sa peine quelques objets de toilette dont il avait envie. Marché fait, le sauvage aurait rapporté un bloc valant plus de 100,000 fr. Ce récit, dans lequel plusieurs faits réels se fondent avec une sorte d’alliage poétique, montre comment l’histoire s’écrit dans les imaginations populaires. Voici la vérité, qui est déjà bien assez curieuse.

Une douzaine d’années avant les premières exploitations, l’existence des terrains aurifères avait été révélée au gouvernement anglais par plusieurs voyageurs. Soit incrédulité, soit plutôt apathie naturelle aux administrations publiques, on n’avait pas donné suite à cet avis. On s’en excuse aujourd’hui par la répugnance qu’on aurait eue à mettre des trésors sous la main des repris de justice. Vers la fin de 1850, un M. Smith, envoyé par des spéculateurs à la recherche des mines de fer, se présente au conseil colonial de Sidney, tenant un morceau d’or à la main et promettant des merveilles, si on prenait l’engagement de le traiter avec magnificence. Ce procédé inspira de la défiance au conseil : dans la crainte d’une supercherie ou tout au moins d’une mystification, le trouveur fut éconduit. Ce fait, devenu la fable d’une petite ville, donna l’éveil aux esprits aventureux. Un M. Hargreaves, entre autres, homme de résolution, qui avait fait son apprentissage en Californie, entreprit une exploration à ses risques et périls. À son retour en avril 1851, il attesta l’existence de plusieurs des gisemens aurifères qui sont devenus célèbres depuis cette époque. L’affaire ayant été prise cette fois en considération par l’autorité coloniale, on nomma une commission chargée de suivre M. Hargreaves dans une tournée dont il avait tracé l’itinéraire. Dès la première journée, les commissaires avaient vu tant de richesses, qu’ils jugèrent inutile d’aller plus loin. Leur retour détermina cette sorte de délire contagieux bien connu en Californie[1]. Une proclamation du gouvernement défendit aux citoyens de se livrer à la recherche de l’or sans s’être munis d’une licence. Chacun s’empressa de se mettre en règle, abandonnant avec joie le métier de la veille pour commencer une existence nouvelle.

Ici se place le fait qui a le plus frappé les imaginations, la découverte

  1. On vient d’accorder à M. Hargreaves une gratification de 10,000 liv. st. (250,000 fr.). 73 kilogrammes d’or, c’est bien peu pour l’homme qui en a déjà fait trouver 300,000. Au reste le premier trouveur de la Californie, M. Sutter, ancien officier des Cent-Suisses de Charles X, parait avoir été moins heureux. Il possédait un petit royaume de quarante lieues cariées dont il se proposait d’exploiter les bois. Ce fut en établissant une scierie hydraulique qu’il eut le malheur de découvrir des mines. Lorsqu’on sut que ce canton renfermait de l’or, la tourbe des aventuriers s’y abattit de tous les coins du globe et ruina le terrain en le bouleversant. Depuis cette époque, le malheureux propriétaire ne recueille plus dans son domaine que des coups de fusil. Il sollicite, dit-on, une indemnité du gouvernement américain.