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magnificences de la nature qu’ils rencontraient sur leur passage prolongeaient pour eux l’illusion bienheureuse de cet instant unique de la vie. Beata, qui trouvait un plaisir secret dans ces promenades qui amusaient son esprit et son cœur sans en troubler la sérénité, promenades qui étaient d’ailleurs favorables à la santé de son père, cherchait à les multiplier par des raisons plus ou moins ingénieuses que Marco Zeno acceptait volontiers. En quittant Padoue, elle le décida à visiter dans les environs quelques amis, parmi lesquels se trouvait la famille Grimani, dont la villa était, située sur la rive gauche du canal de la Brenta.

La vaste et magnifique plaine sur laquelle est assise la ville de Padoue, et qui descend par des pentes ménagées des Alpes tyroliennes à l’embouchure de la Brenta, forme l’un des plus beaux pays qu’il y ait au monde. Couverte d’une végétation vigoureuse, d’un nombre considérable de petites villes, de bourgs et de hameaux pittoresques qui semblent y avoir été semés par la main d’une muse, cette terre grasse et forte donne tout ce qu’on exige d’elle, et au moindre souille de l’activité humaine, elle s’épanouit avec amour en produisant des moissons miraculeuses. L’olivier, le citronnier, le figuier, le mûrier, des fruits de toute espèce, des vins généreux et divers, tout y vient en abondance et presque sans efforts. Dans ces campagnes lumineuses que rafraîchissent incessamment les brises qui s’élèvent des montagnes et celles qui traversent l’Adriatique, la vigne étale sa magnificence en festons élégans qui égaient le regard et enchantent le cœur. Le blé, le seigle, le maïs à la tige élancée, croissent sans entraves au milieu de ces champs fortunés, dont l’horizon est successivement resserré par des collines adoucies qui versent autour d’elles l’ombre et la fraîcheur. Des pâturages abondans, de nombreux troupeaux de moutons, de bœufs à la haute encolure, des fermes joyeuses, une population active, tout révèle la force et la fécondité de cette terre de promission. Je ne sais plus quel poète de l’antiquité a dit que le printemps semble avoir fixé son séjour dans cette heureuse vallée, dont le paysage enchanteur faisait dire également à un empereur grec que, si on n’avait la certitude que le paradis terrestre était situé en Asie, on pourrait croire que c’est dans ce coin de la Vénétie que Dieu a placé sa première créature pour lui donner une idée de la félicité suprême. Tout y est si frais et si joyeux, la nature y est si féconde et si charmante, que les nombreux poètes qu’a produits le dialecte de Padoue n’ont rien pu imaginer de plus beau que la réalité puissante qu’ils avaient sous les yeux. Tous ont chanté les plaisirs de la vie champêtre et les épisodes de l’économie domestique, C’est la ferme et sa gaieté bruyante, c’est la moisson avec ses guirlandes de bluets et de pavots, ce sont les vendangeurs joyeux couronnés de pampres et bondissant dans la plaine au son d’un