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que, sauf des détails, rien ne pouvait se faire que ce qu’il a fait. Mais l’admiration arrive à l’enthousiasme, si l’on passe aux historiens plus systématiquement démocratiques. L’habile auteur d’une excellente histoire de France, M. Henri Martin, raconte, avec ou peu s’en faut la passion d’un légendaire pour son saint, les miracles du grand cardinal. Ce n’est plus une administration, c’est une mission. On connaît les dogmes et les formules de la philosophie sociale. Nous demanderons, en cette occasion comme en toutes, à user des uns comme des autres avec une extrême sobriété. Pénétré de l’esprit des temps modernes, admirateur très froid des anciennes formes de la société, invariable partisan de la révolution qui en a changé la face, nous ne nous croyons pas le moins du monde condamné à l’approbation des moyens par lesquels cette résolution s’est d’abord préparée, puis accomplie. Ses précurseurs, ses instrumens, ses auteurs, ne nous imposent par aucun titre à l’infaillibilité. Nous sommes plus disposé à la défendre qu’à la louer. Pour nous, le fait réel n’est pas toujours le seul possible ; le possible n’est pas le nécessaire ; le nécessaire n’est pas le bon ni le juste, et sans beaucoup attendre des choses humaines, nous en exigeons toujours plus qu’elles ne donnent. Nous faisons cet honneur à la liberté des individus de réclamer toujours d’elle plus qu’elle n’a fait.


VI

Des deux parties de l’œuvre de Richelieu, la partie extérieure nous semble au-dessus de l’autre. Depuis un siècle, la puissance de la maison d’Autriche était le grand danger tout à la fois de la France et de l’Europe. En Espagne, en Italie, en Allemagne, en Belgique, la politique envahissante et compressive des successeurs de Charles-Quint menaçait ensemble l’indépendance des gouvernemens et la liberté des nations. Le plan général de résistance à cette tentative de monarchie universelle avait été tracé d’une manière admirable par Henri IV, prêt à marcher sur le Rhin, au moment où le fer trancha sa vie. Il en fit la confidence à Jeannin, qui lui-même le redit à Richelieu, et celui-ci l’a parfaitement exposé dans les premières pages de ses Mémoires. Ce programme politique pouvait être suivi avec énergie et confiance, pourvu qu’on eût soin de ne concevoir ni ne montrer au profit de la France la contre-partie du système autrichien. Peut-être n’y a-t-il pas eu un moment depuis deux siècles où la même conduite n’ait été opportune et sûre, à la triple condition de ménager l’alliance ou la neutralité de l’Angleterre, de respecter l’indépendance des parties est et nord des Pays-Bas, de renoncer à tout agrandissement territorial en Italie. Ces trois points réservés, la France de tout temps aurait pu, en défendant la liberté de tous,