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titre de leurs domaines, les autres par de grandes charges, des gouvernemens et des places fortes, occupaient une position indépendante qui devenait un pouvoir dans l’état, quand le pouvoir central était faible. C’est ainsi que Mayenne, Nevers, Guise, Bouillon, se posaient en rivaux de l’autorité royale, et que Montmorency. Lesdiguières, Espernon, marchaient presque leurs égaux. Les princes du sang, recrutés encore par la bâtardise, formaient une classe non moins redoutable, plus puissante par son prestige, plus dépendante par ses apanages. Pas plus chez les Gaston et les Condé que chez les Soissons et les Vendôme, la pensée d’une obligation envers la France comme devoir officiel, lien de famille ou sentiment patriotique ; ne dominait l’intérêt, l’orgueil, l’avarice et l’ambition, droits naturels de la grandeur. La crainte ou l’espérance les ramenaient seules par momens sous l’étendard royal, et ils se conduisaient par des calculs qu’il n’est permis d’avouer que dans les relations diplomatiques des gouvernemens. Un droit des gens qui ne condamnait que la violation des engagemens pris était la seule règle qu’ils voulussent bien reconnaître, à la condition de ne pas l’observer. Prise dans son ensemble, toute cette haute aristocratie, dénuée d’intérêt public, ne représentait absolument qu’elle-même. Pour elle, les pouvoirs et les partis, les lois, les opinions, les griefs, n’étaient que des armes à employer ou à briser selon le temps. Rien ne semblait sacré, ni le nom du roi, ni celui de la France. La conspiration avec l’étranger paraissait une ressource permise. Spéculer sur la mort de Louis XIII, même sur un changement dans l’ordre de succession, ne passait pas pour sacrilège. Les plus voisins de la royauté n’étaient pas ceux qui la respectaient le plus. Une telle aristocratie était une force contre l’état, non une des institutions de l’état.

Les gentilshommes n’échappaient point entièrement à la contagion de pareils exemples. L’imitation les tentait comme un privilège de race et un retour de féodalité. D’anciens rapports de vasselage ou de service volontaire les enchaînaient quelquefois à de plus grands qu’eux, et dominaient alors leurs devoirs de sujets et de Français. Ils faisaient de cette fidélité hiérarchique l’excuse de la rébellion, comme aussi beaucoup de nobles s’aidaient de l’obéissance due au prince pour rompre les liens particuliers d’hommage ou de reconnaissance, et ne plus se donner d’autre maître que celui de l’état. Comme, après tout, le roi était le seigneur des seigneurs, la noblesse en général tenait le parti du roi, du moins l’épée à la main. Se battre vaillamment, quelle que fût la cause, était son premier devoir, remplir ce devoir envers le prince ou la patrie ne venait qu’après ; mais en dehors du cercle de l’honneur militaire expirait le patriotisme et presque tout le royalisme de la noblesse. Hors des camps, elle ne se connaissait plus d’obligation qu’envers elle-même,