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Le fait seul nous frappe, et nous voudrions de grand cœur qu’il pût être contesté avec succès ; mais il nous semble que, malgré les efforts de la philosophie de l’histoire pour assigner à notre patrie ce que la langue prétentieuse du temps appelle un rôle providentiel, on serait fort embarrassé de dire nettement quel est ce rôle, et d’affirmer surtout qu’il nous ait définitivement bien tourné. Quand on se bornerait à représenter la France comme chargée de réaliser le plus beau type de la monarchie absolue, il n’est que trop évident que cette humble ambition n’a pas été satisfaite. La monarchie de Louis XIV, si c’était d’elle qu’on voulût parler, a commencé à décliner avant la mort du monarque. On sait quelles humiliations, je parle faiblement, en ont attristé la décadence, et plus tard, quelles calamités lamentables en ont signalé la chute. On prétend quelquefois, sans doute parce que la royauté se disait très chrétienne, que le royaume de saint Louis est le dépositaire des intérêts de la religion ; mais ce n’est certes pas une vérité de dogme ni d’histoire. Demandez ce qu’on pense à Rome de la politique royale et des sentimens nationaux touchant l’église avant François Ier, et si des écrivains strictement orthodoxes regardent comme la terre classique du catholicisme celle où le gallicanisme et le jansénisme ont germé avant que Voltaire y naquit, et que s’y levât l’aurore de la philosophie de 1789. La valeur de nos légions ne sera point surpassée, et le souvenir de tant de journées immortelles nous autorise apparemment à nous dire une nation guerrière ; mais la guerre avec le temps ne vaut que par l’agrandissement qu’elle procure. Elle nous a, sous ce rapport, plus d’une fois bien servis ; mais enfin, aux deux époques où nous avons tendu par elle à la prééminence, quel a été le résultat suprême ? La vieillesse de Louis XIV prépara par ses revers le règne suivant, et de nos jours le génie des conquêtes a laissé la France plus petite qu’il ne l’avait reçue. Que de fois n’a-t-on pas soutenu que le mandat de notre nation était de changer la face du monde et de tout renouveler, soit par la liberté révolutionnaire, soit par la liberté constitutionnelle ? On sait comment elle y a réussi.

Tous ces faits, il faut les rappeler courageusement, non pour interdire à aucune bonne cause l’espérance, mais pour enseigner à toute bonne cause combien il est difficile de vaincre, pour pénétrer la conscience nationale de l’obligation pour un peuple de méditer son expérience, de sonder ses forces avant de rien entreprendre, et de chercher dans la leçon des événemens par quel secret se forme l’alliance du droit et de la fortune. Mais ici notre ambition n’est pas si haute ; nous indiquons seulement des problèmes historiques, et voici le nôtre : quelle est, l’histoire étant donnée, la destination finale de la France ?