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À ces mots, cavaliers et piétons, noirs essaims,
Redoublent de fureur contre nos fantassins.
Ils sont trente contre un ; peu soucieux du nombre,
Nos hommes vont toujours à travers le flot sombre.
Ils frappent en courant, sans pitié, sans remords ;
Ils jettent coup sur coup les blessés sur les morts.
Qui pourra t’expliquer, étrange frénésie,
Dont l’âme du soldat est par instans saisie ?
Soif du sang, qui s’allume au cœur des plus démens !
Fanatisme sacré des grands égorgemens !

Que d’exploits accomplis sur la pente, escarpée !
Les trois jeunes héros de cette humble épopée
Sont trois des plus vaillans qu’ait signalés ce jour.
Comme s’il n’avait pas au cœur un tendre amour,
Et qu’un nom glorieux fut son unique envie,
Rousseau partout s’expose, il prodigue sa vie.

Du danger, comme lui, Muller se fait un jeu.
Héroïque fourrier, — il l’était depuis peu, —
Il combat hors des rangs. Debout sur une roche :
— Je suis Muller, dit-il ; malheur à qui m’approche ! –
Son fusil rechargé résonne à chaque instant.
Un chef maure, vêtu d’un splendide caftan,
Distingue le fourrier, voit sa pose, intrépide,
Bondit, l’atteint au vol de son coursier numide :
— Rends-toi ! rugit le cheik, sur lui levant le fer.
— Arrière, galopin ! riposte le Muller. -
C’en est fait, il est mort, quand, plein d’un beau courage,
Le svelte et blond Cléry s’élance et le dégage.
En vain pleuvent sur eux les balles par milliers,
Ils regagnent le rang, calmes et familiers.
Muller serra la main du jeune ami fidèle :
— Je te dois, lui dit-il, une fière chandelle !

Jusqu’au déclin du jour, belle d’acharnement,
On vit se prolonger la lutte. À ce moment,
Les soldats de l’émir, que le désespoir gagne,
Commencent à faiblir au front de la montagne.
Pêle-mêle bientôt, effarés, à grands cris,
Ils quittent le terrain jonché de leurs débris.
Comme un aigle venu des voûtes immortelles,
La victoire sur nous battait enfin des ailes.
Nos tambours, nos clairons, aux échos du désert,
Envoyaient à la fois leur triomphal concert.
Le plus haut pic du mont portait notre bannière !
C’est alors qu’une balle, une balle dernière,
Vint frapper de Cléry le bras et le flanc droit.