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DEUXIÈME PARTIE.


I


Un jour d’avril, devant cette même demeure,
Maillard et Jacqueline étaient assis vers l’heure
Dont les pales vieillards, pour un sang refroidi,
Attendent un rayon bien faisant, — vers midi.
L’air était tiède et pur, suave la lumière.
Un riant paysage entourait la chaumière.
L’hirondelle quêteuse empruntait aux buissons
De quoi se faire un nid ; fauvettes et pinsons
Gazouillaient à qui mieux ; de la forêt voisine
Il venait des parfums de sève et de résine.
Rose et blanc, renaissait le splendide amandier.
Les fleurs même, les fleurs du pauvre brigadier,
Luxe d’un humble enclos, quoique fort négligées,
Se dressaient, de couleurs et d’arômes chargées.
Tout n’était à ses yeux que rajeunissement
Lui seul se sentait pris d’un grand accablement.

— Tu le vois, tu le vois, ma fille bien-aimée !
Murmurait ce débris de l’immortelle armée.
En vain je reste assis, je suis toujours plus las.
Avoir été si fort, être si faible ! — Hélas !
Hélas ! contre le temps, ce traître aux armes sures,
Que peut un triste corps tout criblé de blessures ?
J’avais beau m’oublier, ainsi qu’un paresseux :
Mon tour vient à la fin ; je vais rejoindre ceux
Qui, sur tous les chemins parcourus par nos aigles,
La face à l’ennemi, tombèrent dans les règles.
La gloire, nous dit-on, à leur dernier instant
Leur sourit. Souris-moi, cela vaut bien autant !

— Non, vous vivrez encor, soupirait Jacqueline.
Seule au monde, sans vous, que pourrait l’orpheline ?

— Ah ! disait-il, c’est là mon suprême souci.
Au plus cher de mes vœux prête-toi donc ici.
Veuille accueillir, avant que ma fin se consomme,
La tendresse et l’appui de quelque, bon jeune homme.
André, le laboureur de Saint-Denis-des-Bois,
S’est déjà, tu le sais, offert plus d’une fois.
À sa demande, enfin, tu te rendras, j’espère.
Réponds-moi !

— J’ai conçu d’autres desseins, mon père.