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Est-il à cette table un ennui qui persiste !
Seul convive dont l’œil fût encor moitié triste,
À l’entrain général Cléry prit enfin part.
Sur sa fraîche voisine attachant un regard :
— De grâce, lui dit-il, chantez, mademoiselle,
Une de ces chansons que, d’une voix si belle,
Au bord de la forêt, vous fredonniez ce soir. —
Rougissante à ce motn et plus charmante à voir,
Elle semblait de l’œil interroger son père :

— Oui, dit le brigadier, chante, ma fille chère ! —
Et de ce doux gosier, digne d’un rossignol,
La chanson que voici prit aussitôt son vol :

D’où viens-tu, passant qui chemines
Le long de nos maigres sillons ?

— Je viens du plus beau des vallons,
De la plus verte des collines.
Je viens du pays adoré
Qui nourrit mon enfance heureuse,
Du village où mon amoureuse
M’a dit : Si tu meurs, je mourrai !

Où vas-tu, passant qui voyages
À travers la pluie et le vent ?

— Je vais au spectacle émouvant
Qu’ont aimé tous les fiers courages.
Au soleil je vais voir briller
Casques et lances glorieuses,
Et, dans les luttes furieuses,
Les bataillons s’amonceler.

Qu’es-tu donc, hardi camarade
Qui loin de nous t’en vas gaîment ?

— Je suis tambour de régiment,
Ce qui, morbleu ! vaut bien un grade.
Il faut demain qu’avant le jour
Mon rataplan fasse merveille,
Que la victoire se réveille
Au roulement de mon tambour !

Ainsi chantait la belle, et l’assistance entière
Couronnait de bravos sa ballade guerrière.


V


Le repas terminé,, devant l’âtre flambant,
On traîne les fauteuils renforcés d’un vieux banc ;
On allume au tison les pipes, on s’installe ;
Muller semble un chanoine assoupi dans sa stalle. -