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Un jardin précédait la modeste demeure,
Pauvre jardin frileux, blanc de neige à cette heure.
La course vint finir au seuil de ce logis.
Ouvrant la vieille porte avec ses doigts rougis :
— Mon père ! s’écria la blonde créature.
Venez ; que je vous conte une heureuse aventure !
Je vous amène ici des gens inattendus,
Trois soldats voyageurs, qui, dans le bois perdus,
Auraient passé la nuit sans retrouver la route,
Et dont le moins robuste eût bien souffert sans doute.
Si je n’avais pour eux compté sur votre accueil.

À ces mots, les soldats, ayant franchi le seuil,
Aperçurent un homme aux traits de patriarche,
Qu’une jambe de bois soutenait dans sa marche.
Il sortait d’un tiroir sa vieille croix d’argent
Qu’il suspendait en hâte à son frac indigent.
Redressant tout à coup sa tête blanche et nue,
Il prenait un aspect de sévère tenue.
Puis, leur tendant les mains, il s’avança vers eux :
— Trois soldats ! s’écria le vieillard généreux,
Ce sont autant d’amis que la chance m’envoie.
Chez un vieux de la vieille ils apportent la joie.
Allons, ma Jacqueline, alerte, chère enfant !
Il s’agit de leur faire un accueil triomphant.
Mets au foyer ton bois, fais-le flamber, ma biche !
Aaujourd’hui, justement, la huche est assez riche :
Du pain tout frais, des œufs, un quartier de jambon,
Du bœuf, des noix, un vin qui peut passer pour bon !
De quoi faire un festin d’empereur, de satrape !
Vrais, en attendant que l’on mette la nappe,
Vous me direz vos noms…

— Moi, reprit le vieillard,
Je fus le brigadier Hilarion Maillard :
Vous voyez un débris de l’immortelle armée.
Parmi les cuirassiers, j’eus quelque renommée !
Nous en recauserons. Au foyer placez-vous.
À votre aise, messieurs. N’est-ce pas qu’il est doux,
Quand il pleut au dehors, et qu’il vente et qu’il neige,
D’être sous un bon toit qui, la nuit, vous protège,
D’avoir pour se chauffer un joli feu qui luit,
Et de sentir l’odeur du dîner qui se cuit ?
Qu’en dites-vous, Muller ? Vous m’avez, camarade,
L’air de vous trouver mieux ici qu’on embuscade !

Jamais sultan d’Asie, en son bain tiède et clair,
Ne parut, en effet, plus heureux que Muller.