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et hors d’haleine, qu’il y resta assez longtemps sans mouvement. Quand il put enfin regarder autour de lui, tout avait encore une fois changé d’aspect. Balayés par la violence du fœhn., les nuages flottaient au loin, et la montagne, complètement dégagée, laissait apercevoir jusqu’à ses moindres cimes ; mais le souffle africain continuait à tourbillonner autour des pics, à glisser sur les pentes, à s’engouffrer dans les cols, et tout semblait s’amollir à son contact embrasé. On voyait, sous les neiges fendues et affaissées, sourdre des ruisseaux qui commençaient à descendre dans les ravines en cascades blanchissantes.

Le jeune chasseur se releva, et, contre l’impétuosité de la rafale, s’abritant des hauts sillons qui entrecoupaient le glacier, il continua sa route, toujours avec plus d’efforts. N’ayant jusqu’alors été exposé au fœhn que dans les vallées, où il arrivait déjà refroidi par son passage à travers les montagnes, il n’avait jamais soupçonné ce qu’il pouvait être sur ces hauteurs glacées, qui semblaient se dissoudre subitement sous son haleine. À mesure qu’il avançait avec peine, la fonte des glaces s’accélérait de toutes parts ; les ruisseaux, grossis en torrens, roulaient sur les flancs de la montagne, s’élargissaient toujours et mariaient leurs ondes effrénées. Les rocs, arrachés de leurs enchâssemens de givre, roulaient d’abord sur la pente glissante, puis, ressautant au premier obstacle, s’élançaient en bonds gigantesques, franchissaient les moraines et allaient s’engloutir dans les gouffres, dont on les entendait longtemps heurter les parois sonores. Les couches de neige accumulées sur les rampes, brusquement déracinées, se précipitaient avec un bruit de tonnerre, et, ramassant dans leur course tout ce qui se trouvait devant elles, allaient remplir les combes, d’où elles rejaillissaient en poussière. D’instant en instant, ces Alpes bâties par l’hiver semblaient tomber en ruines, et leur immense éboulement fermait l’une après l’autre toutes les routes. Ulrich cherchait en vain une issue. Ici c’était une cascade qui noyait la corniche par laquelle il eût voulu fuir, là une avalanche qui avait enseveli le passage ; à droite un rocher jeté comme une arche sur le vide, et qui venait de fléchir ; à gauche une fissure brusquement entr’ouverte ; partout les grincemens de la glace brisée, les sifflemens furieux du vent, les coups de foudre des avalanches, les rugissemens des eaux débordées, et, par-dessus ce chaos, la nuit qui descendait rapidement pour enlever jusqu’au dernier espoir !

Cependant le jeune montagnard continuait à lutter contre les dangers toujours renaissans. Au milieu de la confusion de ses pensées, mille fois interrompues, le souvenir de Fréneli semblait surnager, et lui donnait une volonté de vivre qui soutenait ses forces. Malheureusement le lieu lui était inconnu. Étourdi par le bruit, aveuglé