Il avait fallu tout l’amour du jeune homme, — et la certitude que mère Trina n’accorderait la main de Fréneli qu’à celui qui remplirait la singulière condition imposée par elle, — pour le décider à rentrer dans une existence qu’il ne connaissait que trop bien. Nulle autre, en effet, ne peut exposer à autant de fatigues, de privations et de périls. Le chasseur de chamois part habituellement le soir pour se trouver, au point du jour, sur les cimes élevées. S’il n’aperçoit point de pistes, il monte plus haut, toujours plus haut, et ne s’arrête qu’après avoir découvert quelque trace qui puisse le conduire vers sa proie. Alors il s’avance avec précaution, tantôt à genoux, tantôt rampant sur les mains ou sur le ventre jusqu’à ce qu’il ait distingué les cornes des chamois, c’est alors seulement qu’il est à portée. Si celui d’entre eux qui surveille (car ils ont toujours des sentinelles) ne l’a pas vu, le chasseur cherche un point d’appui pour sa carabine et tire en visant à la tête ou au cœur, car lorsque la balle frappe ailleurs, elle peut percer l’animal de part en part sans l’arrêter, et le chamois va mourir dans quelque anfractuosité de la montagne où il sert de pâture au Lummergeier. Cependant, s’il est retardé dans sa fuite, le chasseur se précipite sur ses traces, tâche de l’atteindre et de lui couper le jarret. Il faut ensuite qu’il le charge sur ses épaules pour le porter à sa demeure à travers les torrens, les neiges et les abîmes. Surpris le plus souvent par la nuit dans ce périlleux voyage, il cherche une fente de rocher, tire de son sac un morceau de pain noir si dur que la dent ne peut y mordre et qu’il faut le broyer entre deux cailloux, boit un peu de neige fondue, met une pierre sous sa tête et s’endort, les pieds sur le gouffre, le front sous les avalanches. Le lendemain nouvelles épreuves, nouveaux dangers, et cela se prolonge souvent plusieurs jours sans qu’il trouve un toit ou aperçoive un être humain. Autrefois il pouvait espérer la rencontre de quelques chercheurs de cristal ou d’un de ses compagnons de chasse, mais les premiers ont à peu près disparu, et les seconds deviennent plus rares chaque jour. Ce qui était arrivé chez les Hauser semblait au reste symboliser la transformation opérée dans la population entière. Le vieux Job représentait une génération éteinte ; Hans, celle qui allait finir ; Ulrich, celle qui commençait.
Cependant, le vieillard et son neveu s’étaient mis en marche. Le ciel ne s’éclairait point encore, et les cimes glacées se découpaient sur un horizon pâle. La Lütschine grondait au fond du val ; un vent lourd faisait gémir les sapins chargés de neige, et par instans le bruit d’une cognée retentissait sur les pentes inférieures. Job se tourna vers son compagnon.
— Je n’aime pas cette matinée, dit-il d’un air pensif ; la brume fait un panache au Faul-Horn ; hier le couchant est resté longtemps