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quoique l’affection de d’Atilly fût aussi indépendante que sincère. Après le procès Goëzman, il écrit à Beaumarchais :


« J’aime à parler de toi, j’aime à redire à quel point j’ai vu l’envie s’acharner à te décrier. Le tableau de ton intérieur, celui du bonheur de tes femmes dont j’ai été le témoin, tant d’autres détails sont précieux à mon amitié. Rien n’est plus commun que de rencontrer des gens prévenus par le charme de tes Mémoires. Il m’est si doux d’y faire ajouter la bonne opinion que te doivent ceux qui te connaissent complètement, et que je te refuserais peut-être le premier, si je ne te connaissais qu’à demi, car avec le cœur d’un honnête homme tu as toujours eu le ton d’un bohême ! »


Le sens de cette critique un peu vive de d’Atilly s’explique par une autre phrase de sa lettre : « J’ai rassemblé, ajoute-t-il, depuis que je suis ici, une vingtaine de tes bucoliques qui constatent ce que je dis là ; j’en donne quelques lèches à gens de ta trempe, car je doute que, livrée au public, ta morale fût approuvée Marin[1]. » C’est donc à la forme un peu licencieuse que Beaumarchais donne à sa pensée, surtout dans ses chansons, que d’Atilly fait allusion ici ; mais sa phrase ne laisse pas d’avoir une certaine vérité plus générale, si on l’applique à l’ensemble de la tenue et du ton de Beaumarchais ; elle prouve dans tous les cas que chez ses amis la sincérité marchait de pair avec le dévouement.

Un dernier document entre mille, qui a sa place à côté de la lettre de d’Atilly, est un billet adressé à Beaumarchais par un ancien ami, le fermier-général Laborde[2] :


« Je t’ai dit, mon bon ami, que je te donnerais le plan d’un bosquet à faire dans ton charmant jardin et qui doit être consacré à la plus tendre amitié ; je te l’envoie, ne doutant pas que tu ne consentes à rendre ces derniers devoirs à un ami qui envisage comme le plus grand bonheur pour lui d’habiter encore avec toi lorsqu’il ne sera plus. Ce n’est pas un cénotaphe que je te demande, mais un véritable tombeau. Refuserais-tu aux restes de ton ami ce que tu as fait pour le simple souvenir de Dupaty ? J’aime à croire que non, que j’habiterai ton élysée, lorsque j’aurai cessé d’être ; — que le langage muet de ce monument te rappellera quelquefois le souvenir d’un homme qui t’a toujours aimé depuis qu’il t’a connu, et qui, pénétré de reconnaissance pour les bontés dont il est comblé par tout ce qui t’est cher, forme pour dernier vœu celui de reposer pour toujours dans le lieu qu’ils habitent. »


Ne fallait-il pas que l’auteur du Mariage de Figaro eût en lui quelque chose de singulièrement attrayant pour inspirer à un fermier-général une telle effusion de sensibilité ?

On a souvent raconté, mais avec un peu d’inexactitude, un trait

  1. On se souvient que Marin, l’adversaire de Beaumarchais, était censeur.
  2. L’auteur de l’opéra de Pandore et l’ancien premier valet de chambre de Louis XV.