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« Eh bien ! nos Polonais et leurs victoires ! Trois combats décisifs ! 8 à 10,000 prisonniers russes ! L’armée ennemie en pleine déroute ! Dieu veuille qu’il n’y ait point à rabattre de toutes ces merveilles ! Quelle héroïque nation ! Vous savez ces nouvelles sans doute ? Je les appris hier soir du général M… à l’Opéra-Italien, ce qui excita en moi des transports qui se reportèrent ensuite sur Lablache et sur Mme  Malibran. Figaro, Rosine, furent admirables, tous les autres personnages dans la perfection. Au dire des enthousiastes de cette représentation, jamais aucune autre n’avait été exécutée avec plus de gaieté, de verve, d’ensemble, plus de ce qui fait trépigner, pâmer d’aise. »


Cet enthousiasme pour les Polonais, qui se combine avec l’enthousiasme de la musique, et d’une musique qui rappelle la gloire paternelle, tout ce mélange va bien, ce me semble, à la fille de Beaumarchais. Mme  Eugénie Delarue est morte en juin 1832.


Me voici enfin arrivé au terme de ces études sur Beaumarchais et son temps. L’abondance et la variété des documens m’ont entraîné à dépasser un peu le cadre que je m’étais d’abord tracé. J’espère que le public ne s’en plaindra pas trop, il ne s’agissait pas pour moi de surfaire outre mesure la valeur individuelle d’un homme d’ailleurs incontestablement supérieur à l’opinion qu’il a laissée de lui, mais de présenter sous son véritable jour cette existence orageuse et singulière, d’y rattacher tous les incidens qui m’ont paru propres à fournir quelques lumières nouvelles soit sur la politique, soit sur les idées, soit sur les mœurs au XVIIIe siècle, en un mot de rédiger une de ces biographies détaillées et consciencieuses, à la manière anglaise, où les citations se mêlent au récit pour l’éclairer et le justifier sans l’écraser, où les considérations historiques et littéraires se combinent avec les tableaux de la vie privée, et où l’auteur cherche à présenter un ensemble qui soit à la fois instructif, intéressant et exact.

Je n’ai pas la prétention d’avoir atteint complètement ce triple but, mais je puis affirmer du moins que je me suis efforcé de l’atteindre. Pour y parvenir, j’avais à résoudre un problème assez délicat, car si, d’une part, les papiers inédits qui m’étaient confiés, en venant s’ajouter à mes propres recherches, facilitaient beaucoup mon travail en ce qui touche l’intérêt, d’autre part, j’étais quelquefois placé entre la crainte de manquer au devoir de véracité et de sincérité imposé à l’écrivain qui se respecte et la crainte de ne pas répondre entièrement aux désirs d’une famille très honorable, qui me donnait un témoignage de confiance dont je me sentais fort reconnaissant, mais que je n’avais accepté toutefois qu’à la condition expresse de rester libre dans mes assertions et mes appréciations. Je crois pouvoir me rendre cette justice, qu’en cherchant à concilier de mon mieux ces deux devoirs, j’ai cependant toujours subordonné