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de l’Institut, qui rédigeait en 1799 le journal l’Historien, écrit à ce sujet à Beaumarchais cette lettre inédite où l’on voit le préjugé anti-religieux, aussi ardent chez lui que chez l’auteur du Mariage de Figaro, contraint pourtant de subir l’influence de la réaction religieuse.


« 15 germinal an vii (avril 1799).

« J’ai lu avec beaucoup de plaisir, mon cher philosophe, votre petit article sur Voltaire et sur Jésus-Christ. Il est, comme tout ce que vous faites, fortement pensé et énergiquement écrit : mais mes lecteurs ne sont pas encore à cette hauteur-là, il faut les y amener par degrés, et se tenir pour content s’ils y arrivent l’année prochaine.

« Les persécutions jacobiniques ont reculé la Lumière. Leur intolérance a refait des chrétiens de gens qui n’étaient pas mêmes déistes. Telle est la révolte de la liberté contre toute tyrannie.

« Tu ne veux pas que je croie à ce qui est absurde, et tu me menaces pour cela du cachot ou de la guillotine : eh bien ! je veux dire que je le crois. » Et après l’avoir répété quelquefois par courage, beaucoup de gens se remettent à le croire un peu par habitude.

« Ces demi-chrétiens sont d’ailleurs utiles et respectables, en ce qu’ils sont ennemis de nos bourreaux et alliés naturels de la liberté, de la sûreté, de la propriété.

« Il convient donc que nous les ménagions sur des préjugés qui ne peuvent être durables, et qui cesseront avec la persécution qui les réveille.

« Je vous embrasse bien tendrement, vous remercie de même de l’intérêt que vous avez la bonté de prendre à l’Historien, et réclame pour lui votre secours en bornant votre zèle aux octaves moyennes. On nous croit hardis, nous n’allons pas à moitié du clavier, mais cela viendra.

« Vale et me ama.

Dupont de Nemours. »


Il nous semble que cette lettre de Dupont de Nemours donne bien

    assez peu estimable par elle-même, mais portant un nom assez distingué, et dont la liaison avec Beaumarchais remontait à plusieurs années avant la date où ces billets ont été écrits. Cette liaison avait été très peu suivie, très interrompue par Beaumarchais et par sa famille, qui la connaissait. Après la révolution, la dame en question était devenue fort pauvre ; elle avait recours à la bourse de l’auteur du Mariage de Figaro, toujours généreux, quoique très embarrassé lui-même : de là le renouvellement d’un commerce épistolaire et ces déplorables écarts de langage d’un vieillard dont la jeunesse a manqué de pudeur, et qui se voit encouragé à ce genre d’excès par une femme licencieuse. Du reste, pour apprécier équitablement tout cela, il faut tenir compte de l’esprit d’un siècle où des romans obscènes comme celui de Diderot se lisaient jusque dans les boudoirs des plus grandes dames. De nos jours, si l’on pouvait assister aux conversations intimes de plus d’un personnage considérable et vertueux en apparence, on entendrait peut-être de singulières choses ; mais il est juste d’ajouter que ce qu’on dit, on n’irait pas en général jusqu’à l’écrire, et c’est en cela que, même dans le mal, consiste la différence des deux siècles. L’insouciance de Beaumarchais, laissant exposées à la circulation des saletés écrites de sa main et signées d’un nom qu’il a rendu célèbre, est certainement un des traits caractéristiques de son temps.