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cependant. Sous le poids des chagrins qui l’assiègent, on le voit secouant ses préoccupations personnelles pour s’inquiéter avec une ardeur infatigable de toutes les questions d’intérêt public, de mille affaires littéraires ou autres, de mille incidens qui lui sont étrangers. Tantôt il signalera avec indignation, dans les journaux du temps, l’incroyable négligence qui permet que le corps de Turenne, soustrait au vandalisme de la terreur, reste oublié et exposé parmi des squelettes d’animaux au Jardin des Plantes, et il provoquera l’arrêté du directoire qui, cinq mois après sa lettre, mit fin à ce scandale ; tantôt il écrira soit au gouvernement, soit aux députés qui, comme Baudin des Ardennes, représentent ses idées de modération et de légalité, des mémoires ou des lettres sur toutes les questions qui sont à l’ordre du jour. Il causera de littérature et de théâtre avec l’aimable Collin d’Harleville, ou bien il plaidera auprès des ministres pour les droits des auteurs dramatiques contre les acteurs, et tout à côté il écrira une lettre charmante en faveur d’une actrice malheureuse, Mme Vestris. Il s’occupera en même temps de la reprise de son drame de la Mère coupable, il jouira avec délices de ses derniers succès de théâtre, et pour activer le zèle des comédiens français, il leur adressera cette épître inédite assez plaisante et qui est tout à fait dans son genre d’esprit :


« Ce 14 germinal an V.

« Mes chers concitoyens, vous qui représentez tant de belles choses et si bien, vous en avez une médiocre sur le chantier de vos études, du faible estoc de votre serviteur.

« Sur cette médiocrité, vous l’avez vu, je n’ai montré nul indiscret empressement pour que ma mère obtînt la préférence ; mais de ce que vous avez paru en aimer quelque temps la jouissance exclusive, depuis six mois je la refuse à des galans qui la demandent : d’où il résulte, que ma mère ne se sent épouser par personne, ce qui déplaît profondément aux femmes.

« Mes bons amis, si l’épousaille traîne autant que les fiançailles, vous m’exposez à la désobligeance de continuer à refuser, sans motif apparent, ma mère à ceux qui voudraient en tâter ; car, ne pouvant leur opposer qu’un hymen équivoque et sans publicité pour eux, comme sans effet pour ma mère, personne n’est content de moi.

« Si, dans vos amours clandestins, quelque défaut vous avait lassés d’elle, au moins prononcez le divorce ! Et veuve, hélas ! sans avoir eu d’époux, dédaignée des plus beaux amans, je la laisserai consoler par quelques amans secondaires, car ma mère me dit ingénuement que, devenant presque aussi vieille que son fils, elle n’a pas de temps à perdre si je veux qu’on la claque encore. Et moi, noble enfant que je suis, je veux, mes chers amis, tout ce qui peut plaire à ma mère. Salut.

Beaumarchais. »


Une imagination aussi ardente que celle de Beaumarchais ne pouvait rester étrangère à l’enthousiasme universel qu’inspirait alors le