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dura près de deux ans. Enfin, le 4 pluviôse an VI (janvier 1798), une commission nommée par le directoire et composée des citoyens Golbéry, Deladreux et Sénovert, à la suite d’un rapport très bien motivé, mais très long, et que par conséquent nous ne reproduirons pas, après avoir balancé avec soin les créances de Beaumarchais sur la république et celles de la république sur Beaumarchais, déclara que l’état restait débiteur envers ce dernier d’une somme de 997,875 fr., y compris bien entendu les 745,000 fr. de contrats déposés en nantissement par lui au début de l’opération.

L’auteur du Mariage de Figaro réclamait une somme plus forte, mais c’était déjà une belle victoire que d’obtenir d’un gouvernement peu scrupuleux une restitution si considérable. Cette somme allait le mettre à même de satisfaire ses créanciers les plus impérieux et de trouver un peu de tranquillité à la fin de sa vie, lorsque, par une fatalité qui fit le désespoir de ses derniers jours, le directoire crut devoir nommer une nouvelle commission, qui détruisit le travail de la première. Refusant de tenir compte à Beaumarchais de tout ce que le gouvernement lui avait pris à l’époque où, sans aucun motif raisonnable, on l’avait inscrit sur la liste des émigrés, et des dépenses occasionnées pour la préservation des fusils à Tervère, cette nouvelle commission le fit brusquement repasser de l’état de créancier de 997,875 fr. à l’état de débiteur de 500,000 fr. C’est à lutter auprès de toutes les autorités contre la décision de cette dernière commission que se consuma la vieillesse de Beaumarchais[1]. Tandis que, par suite de cette décision inique, le gouvernement s’unissait à ses véritables créanciers pour le tourmenter, ceux-ci ne lui laissaient pas un instant de repos : il se voyait en proie aux assignations, aux saisies mobilières et immobilières, aux procureurs et aux huissiers, en un mot à toutes les horreurs d’une fortune en déconfiture. Il occupait un palais superbe qu’il ne pouvait ni vendre ni louer ; au milieu des besoins les plus urgens, il avait de la peine à trouver de quoi payer l’impôt des deux cents fenêtres et des quatre portes en grilles qui décoraient ce palais. Une lettre inédite au ministre des finances Ramel, écrite avant même que la nouvelle commission eût porté son désespoir au comble, donnera une idée de cette situation.

  1. Je n’ai pu savoir bien exactement ce que devint l’affaire après sa mort. Les documens que j’ai sous les yeux et le témoignage de sa famille me portent à penser qu’on prit un terme moyen entre la décision des deux commissions : on ne demanda rien aux héritiers de l’auteur du Mariage de Figaro, mais on ne leur restitua rien, et ils restèrent spoliés de la somme de 997,875 fr. que les trois premiers commissaires avaient allouée à Beaumarchais. Quant à lui, même au milieu des chagrins dévorans que lui cause cette nouvelle commission, je le vois, toujours fidèle à son caractère original, rédiger le titre du dossier contenant ses rapports avec elle sous cette forme plaisante : Mes rapports avec la f…tale commission intermédiaire.