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vère à la rapacité anglaise, lorsqu’un nouvel incident vint rendre tous ses efforts inutiles. Au milieu des querelles qui suivirent la chute de Robespierre, une nouvelle discussion s’établit à la tribune sur ces malheureux fusils. Lecointre, avec son étourderie ordinaire, dénonce encore une fois Beaumarchais, et, après l’avoir jadis accusé de complicité avec les derniers ministres de Louis XVI, il l’accuse maintenant d’avoir spolié l’état dans l’affaire pour des fusils déposés à Tervère, de connivence avec les anciens membres du comité de salut public. Le bavardage ridicule et intempestif de Lecointre décida enfin le ministère anglais à passer par-dessus les scrupules de légalité qui l’avaient jusque-là retenu : malgré les protestations de l’agent de Beaumarchais à Tervère, qui se disait représentant d’un négociant américain, il fit enlever de force et conduire à Plymouth les soixante mille fusils, déclarant d’ailleurs que si ces armes n’étaient pas une propriété française, elles seraient évaluées par des arbitres et payées à qui de droit.

Cette solution violente rendait la position de Beaumarchais cruelle, car si les Anglais confisquaient les fusils sans les payer, il était exposé tout à la fois à perdre la somme dépensée par lui pour acquérir et préserver ces armes, en même temps qu’il aurait à restituer au gouvernement français toutes les sommes qui lui avaient été avancées en assignats sur son dépôt de 745,000 livres. Cependant le gouvernement anglais, en présence des réclamations du propriétaire fictif derrière lequel se cachait l’auteur du Mariage de Figaro, ne crut pas pouvoir aller jusqu’à une confiscation ; il fit faire des armes une estimation arbitraire, et les paya fort au-dessous de leur valeur au prête-nom de Beaumarchais en juin 1795. Dès ce moment, la mission de ce dernier était finie ; il demandait à rentrer en France pour rendre ses comptes et faire cesser cet état bizarre d’un agent du gouvernement chargé au dehors d’une mission, tandis qu’il est inscrit dans son pays sur la liste des émigrés, que ses biens sont saisis et tous ses revenus confisqués. Seulement il était plus facile d’être porté sur la fatale liste que d’en être rayé, et Mme de Beaumarchais poursuivait en vain de ses sollicitations toutes les autorités du jour.


« Une loi est faite aujourd’hui, écrit-elle à son mari en juin 1795 ; quatre jours après, elle est rapportée. Ainsi on avait été au comité de législation l’attribution des radiations d’émigrés ; on la lui a rendue. Dans l’intervalle, nous avons perdu notre rapporteur, qui est sorti, à son rang, du comité de salut public, et de là est parti pour une mission. Il a fallu parler à son successeur, l’instruire, l’échauffer, etc., etc. En vertu de ce nouveau décret, nous pensions que les comités décideraient seuls sur notre affaire. Point du tout : au comité de législation, on nous a dit que c’était au comité de salut public