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de blâmer les plaideurs audacieux. C’est ainsi qu’il s’écrie avec un aplomb dégagé de tout artifice oratoire : « Je défierais le diable de faire marcher aucune affaire dans ce temps affreux de désordre et qu’on nomme de liberté. » Plus loin, il adressera un hommage à la jeune et vertueuse Sombreuil, « devant laquelle, dit-il, mon âme se prosternait à l’Abbaye aux approches du 2 septembre. » Plus loin encore, il se moquera du jacobin Marat dans sa pleine puissance, comme il aurait fait de Goëzman, sans trop s’inquiéter de savoir si le jacobin Marat ne jouit pas d’une influence suffisante pour lui faire un très mauvais parti. « Un petit homme, dit-il, aux cheveux noirs, au nez busqué, à la mine effroyable, vint, parla bas au président ; vous le dirai-je, ô mes lecteurs ? c’était le grand, le juste, en un mot le clément Marat. » Ailleurs il prendra courageusement la défense des deux ministres de Louis XVI qu’on a accolés à lui dans le même décret d’accusation, et il dira tout net : « Dans cette affaire nationale, les ministres royalistes ont seuls fait leur devoir, et tous les obstacles viennent des ministres populaires. » — « Je fus vexé sous notre ancien régime, dit-il à une autre page, les ministres me tourmentaient, mais les vexations de ceux-là n’étaient que des espiègleries auprès des horreurs de ceux-ci. » Et il termine par cette péroraison qui ne manque peut-être pas d’éloquence, mais qui surtout ne manque pas de courage :


« Ô ma patrie en larmes ! ô malheureux Français ! que vous aura servi d’avoir renversé des bastilles, si des brigands viennent danser dessus et nous égorgent sur leurs débris ? Vrais amis de la liberté, sachez que ses premiers bourreaux sont la licence et l’anarchie ; joignez-vous à mes cris, et demandons des lois aux députés, qui nous les doivent, qui n’ont été nommés par nous nos mandataires qu’à ce prix ! Faisons la paix avec l’Europe. Le plus beau jour de notre gloire ne fut-il pas celui où nous la déclarâmes au monde ? Affermissons notre intérieur ; constituons-nous enfin sans débats, sans orages, et surtout, s’il se peut, sans crimes. Vos maximes s’établiront ; elles se propageront bien mieux que par la guerre, le meurtre et les dévastations, si l’on vous voit heureux par elles. L’êtes-vous ? Soyons vrais. N’est-ce pas du sang des Français que notre terre est abreuvée ? Parlez, est-il un seul de nous qui n’ait des larmes à verser ? La paix, des lois, une constitution, — sans ces biens-là, point de patrie et surtout point de liberté ! »


Écrire, signer et publier de telles choses le 6 mars 1793, rester à Paris après les avoir publiées jusqu’après le 31 mai, est certainement le fait d’un homme qui ne redoute pas le danger, et M. Sainte-Beuve a très bien caractérisé l’homme et la situation quand il a dit à ce sujet : « Ce qui étonne, c’est qu’il y ait sauvé sa tête. » Il est probable en effet que Beaumarchais eût partagé le sort de tant d’autres victimes beaucoup moins compromises que lui sans une circon-