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marchais à Pache, ministre de la guerre, et finit enfin par déclarer que le gouvernement ne veut plus de ces fusils.

Dans l’intervalle, l’assemblée législative avait fait place à la convention. Un beau matin, le 1er décembre 1792, Beaumarchais lit dans la Gazette de La Haye qu’il est accusé de conspiration, de correspondance avec Louis XVI, de dilapidation, et qu’on vient de mettre une troisième fois les scellés sur sa maison. Il reçoit en même temps d’une main amie l’avis de se rendre à Londres, où il trouvera des lettres qu’on n’ose lui adresser à La Haye. On le prévient également qu’il est question d’envoyer un courrier pour le faire arrêter en Hollande et le faire conduire pieds et poings liés à Paris, avec la chance d’être massacré en chemin. Il part pour Londres. Là il reçoit le rapport présenté à la convention par Laurent Lecointre, rapport dans lequel ce député, trompé par ceux qui depuis huit mois cherchent à enlever à Beaumarchais une déplorable opération qu’il aurait dû leur céder cent fois, falsifie les faits de la manière la plus grossière, enveloppe dans la même accusation de dilapidation et de conspiration l’auteur du Mariage de Figaro et les deux derniers ministres constitutionnels de Louis XVI, de Graves et Chambonas. « Ces hommes vils et cupides, dit Lecointre, avant de plonger la patrie dans l’abîme qu’ils lui avaient préparé, se disputaient l’exécrable honneur de lui arracher ses dernières dépouilles. » Quant à Beaumarchais en particulier, il est poliment qualifié par Lecointre « un homme vicieux par essence et corrompu par inclination, qui a réduit l’immoralité en principe et la scélératesse en système. » Or l’unique scélératesse du malheureux spéculateur est d’avoir engagé dans la plus détestable affaire 745,000 francs de contrats produisant 72,000 francs de rentes contre 500,000 d’assignats valant, au cours de 1792, 300,000 fr., avec la perspective de perdre à la fois ses 745,000 fr. et ses fusils, payés par lui et retenus par le gouvernement hollandais, puis enfin de mourir sur l’échafaud.

Mais l’ancien adversaire de Goëzman aime trop la discussion pour se laisser guillotiner silencieusement. En se voyant décrété d’accusation, il se préparait à revenir à Paris pour plaider lui-même sa cause devant la convention, comme s’il s’agissait du parlement Maupeou, lorsqu’il se vit arrêté par un obstacle inattendu. Le négociant anglais, son ami et son correspondant, qui lui a prêté, un mois auparavant, une forte somme dépensée en Hollande, n’a qu’une médiocre confiance dans les procédés judiciaires de la convention, et il s’intéresse trop à la conservation de son débiteur pour le laisser partir d’Angleterre avant d’avoir été payé. — C’était trop pour lui, écrit naïvement Beaumarchais dans une lettre à Gudin, de perdre à la fois son argent et son ami. — Le négociant de Londres commence