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grandes villes et la démocratie des petits cantons. Elle avait imposé presque de force à la Hollande une constitution qui ne blessait pas moins le parti du stathoudérat que le parti républicain. Le premier consul s’était fait proclamer à Lyon président de la république italienne ; il recevait du sénat de la Ligurie l’invitation de nommer lui-même un doge pour Gênes, comme il aurait désigné un sous-préfet pour Pontoise, et ces arrangemens, qui auraient fait du roi de Sardaigne un prisonnier à Turin, ne permettaient pas même à ce prince d’en espérer l’entrée. Si donc le traité d’Amiens gardait un silence complet sur le Piémont, sur la Toscane, sur Naples et sur les autres dispositions prises par la France en Hollande et en Suisse ; si les infans d’Espagne à Florence, M. de Melzi à Milan, le doge Durazzo à Gênes, M. Schimelpenninc à Amsterdam, M Dolder à Berne, n’étaient en fait que des préfets dont l’autorité ne s’exerçait que sous l’incessante protection de nos armes, n’était-on pas exposé avoir le pouvoir de Napoléon se déployer dans ces capitales aussi librement qu’à Lille, à Strasbourg, à Brest et à Toulon ? Paraître accepter par son silence en 1801 un pareil état de choses, et se soulever d’indignation en 1803 parce qu’il avait produit ses conséquences naturelles, ce n’était peut-être pas très logique, et le premier consul avait quelque droit de reprocher au ministre Addington, ou son défaut de prévoyance, ou son défaut de résignation. Rien de plus naturel toutefois que cette contradiction entre l’attitude du cabinet anglais lors de la signature des préliminaires en octobre 1801 et son attitude l’année suivante, après qu’on eut vu se dérouler sans ménagement et sans mesure toutes les conséquences indirectes du traité. Un moment affamé de paix, le peuple anglais n’avait voulu voir dans l’acte signé à Amiens que ses dispositions textuelles, et celles-ci étaient de nature, comme nous l’avons montré, à satisfaire les plus légitimes exigences. Si la joie publique s’exhala en transports allant jusqu’au délire, c’est que les masses n’avaient pas assez de sagacité politique pour tirer d’un pareil acte les inductions qui en ressortaient malheureusement pour l’avenir. Cette tâche-là n’incombait qu’au parlement, et les documens contemporains constatent qu’au milieu même des joies populaires, la critique des hommes politiques fut vive, amère et à peu près unanime. Le silence gardé sur le Piémont, la position manifestement dépendante des gouvernemens établis par la France en Italie, en Suisse et en Hollande, ne furent pas moins violemment attaqués par les amis de M. Fox que par ceux de M. Pitt. Une seule variante se faisait remarquer dans l’argumentation des uns et des autres, c’est qu’au dire des whigs la responsabilité de ce traité, si menaçant par sa portée éventuelle, revenait moins au cabinet Addington, qui l’avait signé, qu’au ministère de Pitt, dont la politique