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donnait ainsi à l’Europe le droit d’arguer de son esprit pour s’opposer aux conséquences successives que le premier consul faisait sortir de son silence calculé[1]. Il ouvrait un champ plus vaste à l’application de ce funeste système d’indépendance nominale et de vasselage effectif qui prévalait déjà pour les républiques batave et helvétique, système par suite duquel la France s’était emparée de tous les attributs de la souveraineté politique en en laissant peser sur les populations toutes les charges financières. Porter tout à coup nos frontières jusqu’au Pô, comme on les avait portées jusqu’au Rhin, aurait été peut-être pour la paix du monde une épreuve moins redoutable que celle qu’allaient faire naître des envahissemens successifs rendus presque nécessaires par les faits, quoique interdits par les traités.

Les désastreuses conséquences des conventions relatives à l’Italie devenaient plus manifestes encore lorsqu’à côté des stipulations équivoques venaient se placer les omissions calculées. Le traité de Lunéville ne disait rien de Naples, rien du pape, rien du Piémont. C’était laisser à la France sur toutes ces questions une latitude formidable, c’était surtout en faire sortir pour elle l’occasion de déplorables tentatives. L’audacieuse acceptation de la présidence de la république italienne par Napoléon, la réunion de l’île d’Elbe à la France, la division du Piémont en départemens, ces faits, qui furent les causes véritables de la rupture de la paix d’Amiens, quels qu’en aient été d’ailleurs les prétextes, furent provoqués par l’entraînement de la pente sur laquelle on s’était placé en espérant tromper les autres et en se trompant un peu soi-même. En 1801, Napoléon voulait fortement la paix, et cependant il imposait un traité qui la rendait visiblement impossible dans l’avenir. Lorsque le chef du gouvernement français devenait chef du gouvernement italien, lorsque la France étendait simultanément son bras sur la Lombardie et sur tout le littoral, du golfe de Gênes au golfe de Tatente, il fallait bien que le Piémont disparût, pressé qu’il était entre la Cisalpine et la

  1. Une publication récente d’un grand intérêt politique est venue jeter un jour nouveau sur cette négociation, dans laquelle le silence sur les principales questions pendantes fut la première prescription imposée par la France à son plénipotentiaire. On lit dans les Mémoires du roi Joseph le résumé suivant des instructions adressées car le premier consul lui-même à son frère à la date du 20 janvier 1801 : « Ne point parler du roi de Naples, du pape ni du roi de Sardaigne… Toutes les fois qu’on parlera de ce prince, répondre simplement que si c’est nous qui l’avons ôté, l’empereur, s’il combattait pour lui, eût dû le rétablir dans ses états, et que dans tous les cas nous établirons en Italie un ordre tel que la tranquillité sera assise sur des bases immuables, et que nous nous entendrons avec le roi… Ne parler de la Cisalpine que pour dire qu’elle recevra une organisation qui ne causera point d’alarmes aux états voisins… Ne point parler dans le traité du mode de son exécution, mais le stipuler par une convention séparée, etc. »