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l’état de guerre à l’état de paix qu’il ne l’est, en 1854, de le faire passer de l’état de paix à l’état de guerre. Si l’on excepte l’Espagne, qui, pour échapper aux périls dont une lutte contre la révolution menaçait sa faiblesse, avait renoué avec la France une alliance destinée à lui devenir plus onéreuse que la guerre ; si l’on excepte la Prusse, qui, depuis le traité de Bâle, travaillait à retirer de sa neutralité plus de profits que n’aurait pu lui en donner la victoire, la guerre contre la France était en quelque sorte l’état normal de tous les cabinets. Attaquée par la première coalition, la révolution française avait répondu à cette agression par des atteintes de plus en plus profondes à tout le système politique européen. Elle avait conquis la Belgique sur l’Autriche, la rive gauche du Rhin sur l’empire germanique ; elle avait débordé sur la Hollande, sur la Suisse, surtout sur l’Italie, et s’était entourée d’une ceinture de républiques que leur faiblesse plaçait vis-à-vis de la France dans une dépendance permanente. Or l’Autriche n’aspirait cas seulement à reprendre la Lombardie, qu’elle avait dû céder à Campo-Formio, et à conserver Venise, qu’elle devait à ce même traité ; elle ne se bornait point à considérer cet acte diplomatique comme maintenu dans les dispositions qui lui étaient favorables, et comme abrogé dans celles qui lui étaient contraires : elle allait jusqu’à vouloir disposer sans contrôle de toutes les souverainetés, jusqu’alors indépendantes de l’Italie. Quoique le sort des armes l’eût rendue depuis deux ans maîtresse de ce beau pays, des Alpes Juliennes aux rives du Var, elle n’avait rétabli dans leurs états ni le pape, ni le grand-duc de Toscane, ni le roi de Sardaigne. Le chef de la maison de Savoie avait vu, spectacle étrange, se fermer devant lui les portes de sa capitale, occupée par la puissance qui se présentait au monde comme la vengeresse des rois et la restauratrice des trônes ! Ni l’action de la conscience publique, qui domine aujourd’hui les gouvernemens les plus absolus, ni la solidarité de ceux-ci en face de la révolution menaçante, ne pesaient alors sur les cabinets ; les intérêts privés n’étaient pas encore assez fortement organisés pour contrebalancer les intérêts d’état, la pensée de la bourse ne primait pas celle des chancelleries, et, aux premières années du XIXe siècle, la suprématie de la bourgeoisie financière sur les aristocraties militaires n’était pas même soupçonnée sur le continent européen. Tous les vieux gouvernemens, et l’Autriche au premier rang de ceux-ci, épuisant dans la guerre les restes des ardeurs d’une autre époque historique, usant d’une pleine liberté d’action qu’une situation sociale toute nouvelle leur a fait perdre de nos jours, consacraient à des extensions de territoires les forces que des influences toutes nouvelles les contraignent à dépenser autrement.

L’Angleterre d’ailleurs, animée par l’inextinguible passion de Pitt,