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cette tâche que nous oserons entreprendre, convaincu qu’il n’y a pas aujourd’hui d’étude plus pratiquement utile que celle qui tend à démêler la vérité dans les appréciations si diverses provoquées par l’époque impériale, et à rechercher ce que représente au vrai l’idée napoléonienne à son origine et dans ses évolutions successives.


I

S’il y eut jamais intervention dans les affaires publiques devancée par l’opinion et justifiée par ses résultats, c’est assurément celle du général Bonaparte dans les affaires de sa patrie en 1799. Comment méconnaître qu’avant d’être accompli, le 18 brumaire était dans les vœux de tous, et que, stimulée par son impatience de reconstituer un pouvoir pour protéger les frontières et pour raffermir les intérêts, la France se fut livrée à de moins glorieux instrumens que le jeune vainqueur de l’Italie, si ces instrumens s’étaient rencontrés parmi des généraux dénués pour la plupart de toute sagacité politique ? La victoire de Zurich n’avait sauvé la France que pour un jour, et le pays, lassé de la guerre autant qu’incapable de conquérir la paix, sans gouvernement, sans finances et presque sans armée, aurait infailliblement succombé, moins encore sous la coalition des cabinets que sous ses propres découragemens. Soumise à des pouvoirs que les institutions mettaient en guerre les uns contre les autres, et dont la carrière n’avait été, du 18 fructidor au 30 prairial, qu’une longue série de coups d’état impuissans, la France subissait l’action de partis aussi bruyans dans la lutte que stériles dans l’action. Amortie par dix années de déceptions, l’opinion ne retrouvait quelque unanimité et quelque force que pour faire monter jusqu’au pouvoir le flot chaque jour croissant du mépris public. Tiraillé entre un parti jacobin toujours prêt à renaître et les diverses nuances du parti royaliste, qui nourrissaient des antipathies communes contre la république sans aspirer franchement à une restauration que leurs divisions auraient alors rendue impossible, le pays ne pouvait ni résister aux armes triomphantes de l’Europe ni aux effets continus de la dissolution intérieure. Avec Schérer à la tête de ses années et Barras dans ses conseils, le gouvernement directorial était aussi incapable de sauvegarder le présent que de préparer à la nation un autre avenir. Des pouvoirs qui avaient si souvent violé les lois les uns contre les autres n’avaient assurément aucun droit de se plaindre, si, dans une pensée de salut public, on les violait un jour contre eux, et si l’on arrachait l’éternelle jeunesse de la France aux étreintes de leur décrépitude. Jamais situation n’appela donc un homme aussi impérieusement que celle-là, et si la nécessité d’infuser un sang nouveau dans les veines