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l’homme puisse être chargé de rendre les mouvemens impétueux de la colère, l’école italienne sera toujours la première du monde tant qu’elle restera docile au génie qui l’a fondée. On ne chante pas en Allemagne, on y accompagne la symphonie; on ne chante pas à l’Opéra, on y déclame de la tragédie lyrique; on ne chante pas à l’Opéra-Comique, on y débite de l’esprit : on ne chante vraiment qu’au Théâtre-Italien. Qu’y a-t-il au monde de plus exquis à entendre que l’Alboni dans la Rosina du Barbiere di Siviglia ? Quelle voix, quelle facilité, quel brio et quel enchantement de l’oreille! Voyez comme M. Mario lui-même s’efface à côté d’elle dans ce rôle d’Almaviva, dont il n’a plus la tradition! Il écourte toutes les phrases et chante la cavatina de l’introduction, ecco ridente il cielo, avec le laisser-aller d’un grand virtuose qui aurait acquis le droit de ne plus rien apprendre. M. Rossi, dans le rôle de Bartholo, fait aussi trop de grimaces, et malgré son entrain et sa bonne humeur, il serait à désirer qu’il chantât l’air de Rossini : A un dottor della mia sorte, au lieu d’en intercaler un autre d’un compositeur obscur. Nous ne cesserons encore de nous élever contre l’excessive rapidité de mouvemens qu’il plaît à M. le chef d’orchestre d’imprimer à presque tous les morceaux un peu vifs. Le quintetto du second acte du Barbiere, le duo de l’Italiana in Algieri : Se inclinassi a prender moglie, sont complètement défigurés par l’espèce de juria qui s’empare tout à coup de M. Benetti, et dont il exprime la trépidation par des gestes de possédé. Un peu plus de calme et de bon sens feraient bien mieux notre affaire et celle du public, qui veut entendre la musique de Rossini telle qu’elle est écrite. Le Théâtre-Italien a fait une excellente conquête dans un jeune baryton, M. Graziani, dont la belle voix tenorizante n’est pas moins remarquable que le bon sentiment musical dont il est pénétré. Lorsque M. Graziani aura perdu la timidité qui le gêne sur la scène, et que sa voix sonore aura acquis la souplesse qui lui manque par des études de vocalisation qu’on ne fait plus en Italie, il ne lui sera pas difficile d’arriver à une grande renommée. Le Théâtre-Italien, qui est en pleine prospérité, nous prépare des nouveautés qui ajouteront un attrait de plus aux belles représentations qu’il nous donne depuis le commencement de la saison.

L’ombre de Donizetti doit être bien contristée, s’il lui est donné de voir, par-delà le fleuve qu’on ne repasse plus, ce qui se fait sur cette terre. L’auteur de la Favorite, des Martyrs et de la Fille du régiment méritait-il l’outrage qu’on vient de lui faire à l’Opéra et au troisième théâtre lyrique, eu exhumant deux partitions, Bethy et Elisabeth, qui auraient dû rester enfouies où on les a trouvées ? Les prétendus admirateurs du compositeur charmant dont nous déplorons la mort prématurée ont été cette fois bien mal inspirés.

Les concerts sont en pleine floraison; ceux du Conservatoire ont commencé le 8 janvier, et le programme de cette première séance était fort heureusement combiné, n se composait de l’ouverture et de l’introduction de Don Juan, sublime inspiration qu’on ne se lassera jamais d’entendre et qui a produit un très grand effet. M. Bataille, qui chantait la partie de Leporello, a laissé désirer un peu plus de brio et de gaieté. Une fantaisie pour deux flûtes, de la composition de M. Léon Magnier, remplissait le second numéro, et ce morceau agréable, qui sort des lieux communs connus sous le