C’était là évidemment le sens net et explicite de l’opération commandée aux flottes combinées au moment où elle s’exécutait ; c’est là encore son caractère. On ne saurait se dissimuler d’ailleurs que la nouvelle de cette opération, parvenant à Saint-Pétersbourg à peu près en même temps que les propositions de Vienne, pouvait influer sur l’accueil réservé à l’œuvre de la diplomatie, et c’est justement ce qui est arrivé. Au lieu de répondre aux propositions de la diplomatie européenne, le cabinet du tsar a posé à son tour une question ; il a demandé aux cabinets de Paris et de Londres des explications sur le caractère et la portée de l’entrée des flottes dans la Mer-Noire, ne laissant point ignorer que de la réponse dépendrait l’attitude ultérieure de la Russie. Le cabinet de Saint-Pétersbourg, dit-on, renouvelle ses protestations en faveur de l’indépendance de la Turquie. Véritablement il n’y aurait qu’à se mettre d’accord sur ce point, car, puisque les vaisseaux anglais et français ne sont dans le Pont-Euxin que pour maintenir cette indépendance, ce ne serait pas visiblement un cas de guerre ; mais la réalité est que la Russie entend respecter l’intégrité de la Turquie en l’attaquant à coups de canon, et que l’Europe entend préserver cette intégrité, fût-ce par les mêmes moyens : là est toute la question. Si, rapprochée de la mission que remplit en ce moment en Allemagne le comte Orloff, la dernière communication de Saint-Pétersbourg cachait quelque velléité pacifique, le cabinet du tsar pouvait plus simplement et plus naturellement reporter ces dispositions conciliantes sur les propositions de paix de la conférence de Vienne. Si c’était un atermoiement nouveau, c’est là une politique probablement arrivée à son terme. D’ailleurs la question adressée par l’empereur de Russie aux deux cabinets de l’Occident ne trouvait-elle pas d’avance sa réponse dans toutes les circonstances qui ont accompagné l’entrée des flottes combinées, — dans les déclarations du gouvernement anglais, dans la circulaire de M. le ministre des affaires étrangères de France, dans les instructions des amiraux, dans le fait même du ravitaillement de l’armée turque d’Asie protégé par les vaisseaux anglais et français ? La présence des deux escadres dans la Mer-Noire constitue-t-elle un acte de pure et stricte neutralité, comme le demande, à ce qu’il semble, le cabinet de Saint-Pétersbourg ? Elle est un acte de neutralité, si l’on veut, en ce sens que les vaisseaux turcs n’iront point, sous notre protection, attaquer le territoire russe. Elle n’est point un acte de neutralité en ce sens qu’elle n’a nullement le même caractère vis-à-vis de la Russie et vis-à-vis de la Turquie. A l’égard de la Turquie, elle est un acte de secours et de protection ; elle a pour but de défendre le territoire ottoman et d’aider les Turcs à le défendre. Lorsque la Russie prenait possession des principautés par une violation du droit public, elle assurait qu’elle voulait se borner à une attitude défensive. C’est justement l’Europe qui a ce rôle aujourd’hui. Par ses actes, elle dit à la Russie : « Vous avez pris un gage territorial ; à notre tour, nous prenons un gage maritime ; nos vaisseaux n’ont point une mission agressive, ils sont là pour préserver l’intégrité de l’empire ottoman considérée par nous comme une des conditions de l’équilibre occidental, consacrée par les traités, — et si quelque conflit s’élève, la responsabilité de l’agression devra peser tout entière sur celui qui ne se sera point arrêté devant cet intérêt universel. » C’est là le sens de la réponse qui