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n’avaient, pour la plupart, d’autre ambition que de savoir peindre des académies qu’il leur suffirait de grouper un jour pour en composer quelque bas-relief qualifié alors de tableau. Or, comme l’unique tâche à accomplir pendant les années d’étude était l’exécution de figures isolées d’après le modèle vivant, on conçoit que l’action du maître pût satisfaire à de si modestes désirs et s’exercer sans contrôle sur des œuvres appartenant à un ordre d’art purement matériel : mais plus tard, lorsqu’on s’aperçut que la peinture ne consistait pas tout entière dans l’imitation d’une réalité sans âme, et qu’on rêva quelque chose au-delà de cette fidélité textuelle, le mode d’enseignement accoutumé dut paraître et devint en effet insuffisant, parce qu’il n’y entrait rien qui eût trait à la partie morale de l’art.

Il semble que dans l’atelier de Guérin plus qu’en aucun autre lieu, on sentît le vice de cette éducation incomplète et les inconvéniens de ces habitudes traditionnelles. On respectait le talent et la parole, d’ailleurs assez peu impérieuse, du maître, mais à la condition de réviser à part soi les principes qu’il professait, et de demander des leçons aux anciens peintres italiens ou flamands aussi souvent pour le moins qu’au rival de Girodet et de Gérard. Géricault, dont le mâle génie s’annonçait alors dans des essais relativement extravagans, tourmentait par ses exemples l’imagination de ses condisciples, et les entraînait à la recherche d’un idéal que les peintres contemporains, à l’exception de Gros, n’avaient nullement songé à entrevoir. Les idées d’énergie, d’originalité, d’indépendance, qui n’avaient plus cours depuis longtemps, se substituaient dans l’esprit des élèves aux doctrines passives de la génération précédente. En un mot, tout se préparait pour l’espèce de sédition qui allait éclater dès les premières années de la restauration. Trop jeune encore pour jouer un rôle dans ce conflit élevé entre les représentans d’un art suranné et les impatiens apôtres d’une foi naissante, M. Henriquel-Dupont écoutait les théories de ses aînés, suivait d’un œil à demi séduit leurs tentatives d’affranchissement, et aspirait au moment où il aurait acquis assez d’expérience pour prendre rang, lui aussi, parmi les peintres de la nouvelle école. Trois ans s’étaient écoulés depuis qu’il avait commencé de fréquenter l’atelier de Guérin. Encouragé par les progrès accomplis durant cette période, il poursuivait des études au terme desquelles lui apparaissait le succès, lorsque des considérations de famille vinrent brusquement renverser ses projets et anéantir son plus cher espoir. M. Henriquel-Dupont accepta donc, non sans de vifs regrets, les nouvelles conditions qui lui étaient faites, et mis en demeure d’apprendre à manier le burin, il passa en 1814 de l’atelier de Guérin dans celui de Bervic.

La transition était de tous points antipathique aux dispositions