Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/594

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appareiller son escadre, se plaça hors de portée et lança quelques boulets. Après cet exploit il disparut, et les insurgés opérèrent leur débarquement tout à leur aise; A peine entrés dans la ville, ceux-ci se virent accueillis par la population, qui les aida à saccager les bâtimens de la douane et les maisons des mandarins. La garnison s’était réfugiée dans la citadelle; des coups de fusil furent échangés pendant deux heures, puis les troupes fraternisèrent avec les assiégeans. Le combat avait été peu meurtrier, et les vainqueurs eurent soin de laisser complètement libre l’une des portes de la ville, pour que les mandarins et les mécontens pussent s’échapper. Dès le soir même, la révolution était accomplie, il ne restait aucun mandarin dans Amoy. Les insurgés, n’ayant plus d’ennemis à combattre, passaient leur temps en joyeuses patrouilles.

Les Anglais n’étaient point très rassurés à la vue de cette invasion soudaine. Pour la première fois, l’insurrection établissait son quartier-général dans une ville ouverte aux barbares. La prise d’Amoy était donc, sous ce rapport, un fait considérable, car on allait être fixé sur les dispositions réelles des insurgés à l’égard des Européens. La situation paraissait d’autant plus critique, qu’il n’y avait dans le port aucun navire de guerre, et que les navires marchands, chargés d’opium et de riches produits, pouvaient tenter la cupidité de la populace. Le pillage de la douane chinoise était d’ailleurs un fâcheux symptôme. Ces inquiétudes furent vite dissipées; les chefs des rebelles se montrèrent pleins de courtoisie envers les Européens, ils offrirent une garde pour les factoreries et publièrent des proclamations par lesquelles ils prêchaient à tous la confiance. Ils eurent même l’attention de faire décapiter quelques pillards.

Le 29 mai, les mandarins, honteux de leur déroute, tentèrent une attaque contre Amoy; mais ils furent battus et éprouvèrent de grandes pertes. Ils établirent alors, par terre et par mer, une sorte de blocus, et attendirent l’occasion favorable pour reprendre la ville. Les insurgés demeurèrent constamment sur le qui-vive, la division se mit dans leurs rangs. Comme les chefs n’avaient point d’argent, et que les munitions manquaient, on eut recours aux contributions forcées, sur les riches d’abord, puis sur tout le monde. Bref, après avoir été accueillie avec enthousiasme, la révolution devint impopulaire, elle 10 novembre les troupes impériales rentrèrent victorieusement dans Amoy. — La bande du Fokien ne se rattachait par aucun lien à la grande armée de Taï-ping : elle avait agi isolément, sous la conduite de quelques aventuriers qui s’étaient mis en campagne pour leur propre compte. Il n’en fallait pas davantage pour tenter un heureux coup de main sur l’une des villes les plus importantes du littoral, et pour défier pendant six mois la dynastie tartare !

Le cours des événemens nous ramène à Shanghai. Bien que les insurgés de Nankin n’eussent fait aucune démonstration contre cette ville, la population n’en était pas moins fort inquiète. On craignait avec raison que l’exemple d’Amoy ne devint contagieux. Les autorités impériales et Les Européens savaient que les sociétés secrètes commençaient à s’agiter, et qu’elles comptaient un grand nombre d’adhérens parmi les équipages des jonques de Canton et du Fokien mouillées dans le port. Vers la fin du mois d’août, le tao-tai ou gouverneur fit arrêter quelques meneurs; mais, se sentant trop faible, il