Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/554

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maison par un chemin qu’on appelait le chemin du Corsaire. C’était un sentier où les plantes africaines se mêlaient aux arbres de nos pays ; d’immenses cactus déroulaient leurs feuilles étranges entre des ormes et des chênes. Que de fois Gertrude a suivi cette tortueuse allée avec un battement de cœur dont elle ne se rendait pas compte ! Il lui semblait qu’elle allait voir à un détour de cette route, sous ce grand arbre, dans cette clairière, quelque objet nouveau, quelque forme inconnue. Tant qu’on n’a rompu ni avec l’imagination ni avec la jeunesse, on garde la secrète espérance d’un visible enchantement qui sortira un jour pour nous de la nature ; on ne peut pas croire que sur cette scène où règne une si émouvante attente, rien ne se produira. Il faut bien pourtant qu’on se résigne à cette tristesse : arbres, ruisseaux, gazons, tout cela renferme une seule chose, la divine aumône que notre âme y laisse tomber.

Pérenne dit à son cousin qu’il venait lui demander à dîner. Il regarda Gertrude à table comme il ne l’avait pas regardée encore ; elle prenait pour lui un intérêt nouveau. Il inspectait le pays où il allait immédiatement pousser une vigoureuse reconnaissance. Après le dîner, on se rendit au salon. Du divan qui était au fond de cette pièce, on apercevait, quand la fenêtre était ouverte, une immense étendue de mer. Thierry s’assit aux côtés de Gertrude, et, pendant que Gérion fumait une quantité illimitée de cigares, il se mit à lui parler dans une langue qu’il employait pour la première fois avec elle. Jusqu’alors il ne lui avait rien dit que quelques mots insignifians prononcés d’une bouche paresseuse ; il lui parla d’une voix sensible et sérieuse dont elle se sentit tout étonnée. Il prit pour son entrée en matière la promenade même qu’il venait de faire il y avait quelques heures : tant de choses peuvent se passer en nous dans une promenade ! Il lui raconta ce qu’il avait pensé de la mer, du ciel, que sais-je ? Tout ce que je puis dire, c’est qu’il montra une intelligence qu’il avait jusqu’alors cachée des grandeurs émouvantes de ce monde. Il n’eut pas besoin de parler d’amour ; il savait que s’exprimer comme il le faisait, c’était en parler. L’amour est sous tous les sentimens qui nous touchent, sous toutes les pensées qui nous remuent : c’est là sa puissance suprême, c’est là son miracle éternel. Gertrude, sans s’en rendre compte à coup sûr, soupçonna bien comme un aveu dans les paroles de Thierry, car tout à coup elle se leva brusquement, quoiqu’il ne lui eût parlé que de la Méditerranée et de l’Afrique. Elle alla se pendre au bras de son mari, qui était debout sur le balcon.

— Ma chère amie, dit Gérion, je rentre et vous engage à en faire autant, car il y a dans l’air en ce moment un effroyable sirocco.

Gertrude laissa son mari la quitter, et s’accouda sur le balcon.