Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/541

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propriétés dont la vente était réclamée, soit 839 en tout, avaient été vendues; 500,000 hectares avaient changé de mains. En 1853, les ventes ont continué dans la même proportion.

La moyenne des prix de vente a été sur le pied de 5 1/2 à 6 pour 100 du revenu supposé, ou, comme on dit en Angleterre, de dix-huit fois la rente, eighteen years purchase. Cette moyenne a fait jeter les hauts cris aux propriétaires dépossédés, dont un assez grand nombre se sont trouvés ruinés du coup; mais en y regardant de près, on ne la trouve pas tout à fait aussi désavantageuse. En effet, les propriétés situées dans les bons comtés, comme ceux d’Antrim, de Down, de Tyrone, de Meath, de West-Meath et de Dublin, se sont vendues sur le pied de 4 pour 100; si celles qui se trouvaient dans les pays les plus anciennement misérables n’ont trouvé acquéreur qu’à raison de 8 ou 10 pour 100, c’est qu’elles ne valaient pas davantage. Rien n’était plus incertain que la rente annoncée; on avait pris pour base nominale la rente avant 1845, et même alors elle était rarement payée. Au moment de la vente, il y avait un arriéré de plusieurs années, l’avenir paraissait plus menaçant encore que le passé. Pour mettre en valeur ces terres nues, il fallait des dépenses considérables qui tombaient à la charge de l’acquéreur, et pour achever, une taxe jusqu’alors légère, la taxe des pauvres, menaçait de devenir et est devenue en effet très lourde, puisque dans quelques parties du comté de Mayo, elle a absorbé complètement le revenu.

Il est sans doute fâcheux que ces ventes forcées aient eu lieu dans un moment où l’Irlande venait de passer par une crise terrible; mais n’en est-il pas toujours ainsi ? Ce sont précisément les crises qui inspirent et justifient les mesures extraordinaires. Ce n’est pas quand le temps est serein qu’on se décide à jeter à l’eau une partie de la cargaison pour préserver le navire des tempêtes futures. Le remède n’arrive que quand le mal est intense; il serait encore plus mal reçu s’il arrivait avant. Peut-être eût-il été possible d’adoucir un peu dans la pratique cette liquidation, de faciliter aux propriétaires endettés les moyens de sauver quelques débris du naufrage; mais au moment où a été rendu l’encumbered estates act, l’Angleterre avait déjà fait sans succès d’immenses sacrifices pour l’Irlande, elle n’était pas d’humeur à aller plus loin. Quant à la mesure en elle-même, la nécessité n’en peut être mise en doute. Les propriétaires ne pouvaient plus ni payer les intérêts de leurs dettes, ni trouver un sou de plus sur leurs immeubles. Parmi ces hypothèques amoncelées, il y en avait du temps de Cromwell. On se sent porté naturellement à plaindre beaucoup un homme qui possédait la veille une belle terre, et qui n’en a plus rien le lendemain; mais ce n’est pas l’expropriation qui a fait le mal, c’est la dette; cet homme n’était