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s’entrecroisent les ressouvenirs de l’antiquité avec l’histoire moderne, et dans lequel la poésie de la nature comme la comprenaient les Grecs se confond avec les pieuses légendes du christianisme, est un trait caractéristique de la double civilisation dont l’Italie a été le théâtre. A vrai dire, le paganisme n’y a jamais été complètement vaincu, et Dante, en choisissant Virgile pour le guider à travers les cercles mystérieux de la cité catholique, a exprimé d’une manière saisissante et profonde ce double caractère toujours persistant de la civilisation italienne.

Parmi les fêtes populaires des provinces de la Vénétie où l’on retrouvait encore les traces de cette civilisation complexe, la fête de l’Epiphanie était une des plus pittoresques. La veille au soir du saint jour de Noël, la principale auberge de La Rosâ était éclairée d’une manière tout à fait inusitée. Une partie de la population s’y trouvait réunie dans l’attente d’un grand événement. Au milieu de la cuisine, assez spacieuse, on avait dressé une estrade sur laquelle était placé un fauteuil recouvert d’un vieux tapis qui simulait la pompe d’un trône royal. Une étagère qui montait jusqu’au plafond était chargée de vaisselle et de vases reluisans qui reflétaient la flamme joyeuse d’un foyer devant lequel tournaient, comme des âmes en peine, une demi-douzaine de belles oies onctueuses et appétissantes. Une longue table couverte d’une nappe blanche, de brocs remplis de vin et de tous les autres objets nécessaires, indiquait les préparatifs d’un festin qui devait bientôt avoir lieu. Au coup de dix heures, Battista Groffolo, le riche fermier dont nous avons parlé plus haut, fit son entrée dans la salle de l’auberge affublé d’un manteau rouge, la tête ornée d’une espèce de couronne dentelée en papier doré, qui le faisaient ressembler à l’une de ces vieilles figures de rois bibliques qui servent d’enseigne aux hôtelleries rustiques dans presque toute l’Europe. Battista Groffolo monta sur l’estrade, s’assit avec gravité, et, à un signe qu’il fit de la main, tous les assistans s’inclinèrent avec respect. Après quelques instans de silence, on entendit frapper à la porte de l’osteria, et l’on vit apparaître trois figures étranges, un vieillard, une jeune fille et un enfant, habillés comme des magiciens de théâtre : c’étaient Giacomo, Zina, la fille de Battista Groffolo, et Lorenzo, qui représentaient les trois mages de l’Evangile, avec le caractère distinctif que la tradition accorde à chacun de ces personnages vénérables. Giacomo avait pris avec lui sa vieille guitare, et tous trois portaient, suspendu au cou par un large ruban de soie rouge, un petit coffret qui contenait l’offrande consacrée par la légende.

Les trois mages s’approchèrent du trône du roi, et Giacomo demanda d’une voix respectueuse ; « Où donc est le roi des Juifs qui vient de naître ? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous venons pour