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qu’en 795, soixante-cinq ans par conséquent avant les Danois, des moines irlandais abordèrent en Islande et s’établirent sur le littoral. Les Danois trouvèrent dans cette île des livres irlandais, des cloches ; les noms d’une foule de localités attestent encore le séjour de ces moines, désignés du nom de papae (pères). Aux îles Fœroë, dans les Orcades et les îles Shetland, dans tous les parages en un mot des mers du Nord, les Scandinaves rencontrèrent avant eux ces papae, dont les habitudes contrastaient si étrangement avec les leurs[1]. N’entrevirent-ils pas aussi cette grande terre dont le vague souvenir semble les poursuivre, et que Colomb devait retrouver en suivant la trace de leurs rêves ? On sait seulement que l’existence d’une île coupée par un grand fleuve et située à l’occident de l’Irlande fut, sur la foi des Irlandais, un dogme pour les géographes du moyen âge. On racontait que, vers le milieu du vie siècle, un moine, nommé Barontus, revenant de courir la mer, vint demander l’hospitalité au monastère de Cluainfert. L’abbé Brandan le pria de réjouir les frères par le récit des merveilles de Dieu qu’il avait vues dans la grande mer. Barontus leur révéla l’existence d’une île entourée de brouillards, où il avait laissé son disciple Memoc : c’est la terre de promission que Dieu réserve à ses saints. Brandan, avec dix-sept de ses religieux, voulut aller à la recherche de cette terre mystérieuse. Ils montèrent sur une barque de cuir, n’emportant pour toute provision qu’une outre de beurre pour graisser les peaux. Durant sept années, ils vécurent ainsi sur leur barque, abandonnant à Dieu la voile et le gouvernail, et ne s’arrêtant que pour célébrer les fêtes de Noël et de Pâques, sur le dos du roi des poissons, Jasconius. Chaque pas de cette odyssée monacale est une merveille ; chaque île est un monastère où les bizarreries d’une nature fantastique répondent aux étrangetés d’une vie tout idéale. Ici, c’est l’Île des Brebis, où ces animaux se gouvernent eux-mêmes selon leurs propres lois ; ailleurs, le paradis des oiseaux, où la race ailée vit selon la règle des religieux, chantant matines et laudes aux heures canoniques ; Brandan et ses compagnons y célèbrent la pâque avec les oiseaux, et y restent cinquante jours, nourris uniquement du chant de leurs hôtes ; ailleurs, l’Île Délicieuse, idéal de la vie monastique au milieu des flots. Aucune nécessité matérielle ne s’y fait sentir ; les lampes s’allument d’elles-mêmes pour les offices et ne se consument jamais : c’est une lumière spirituelle ; un silence absolu règne dans toute l’île ; chacun sait au juste quand il mourra ; on n’y ressent ni froid, ni chaud, ni tristesse, ni maladie de corps ou d’esprit. Tout cela dure

  1. Voir sur ce sujet les belles recherches de M. A. de Humboldt dans son Histoire de la Géographie du Nouveau-Continent, t. II.