Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/490

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ble sérénité de la conscience celtique, ni triste ni gaie, toujours suspendue entre un sourire et une larme. C’est le récit limpide d’un enfant, sans distinction de noble ni de vulgaire, quelque chose de ce monde doucement animé, de cet idéal tranquille et calme où nous transportent les stances de l’Arioste. Le bavardage des imitateurs français et allemands du moyen âge, de Chrétien de Troyes et de Wolfram d’Eschenbach par exemple, ne peut donner une idée de cette charmante manière de raconter. Nos trouvères ignorèrent en général l’art que les conteurs gallois possèdent au plus haut degré, l’art du récit, et, pour le dire en passant, peut-être la première joie de la découverte a-t-elle porté à surfaire quelque peu la valeur des romans français et allemands du cycle breton. C’est à l’original qu’il fallait réserver l’admiration qu’on a trop facilement accordée à de pâles copies.

Ce qui frappe au premier coup d’œil dans les compositions idéales des races celtiques, surtout quand on les compare à celles des races germaniques, c’est l’extrême douceur de mœurs qui y respire. Point de ces vengeances effroyables qui remplissent l’Edda et les Niebelungen. Comparez le héros celtique et le héros germanique, Beowulf et Pérédur par exemple. Quelle différence ! Là, toute l’horreur de la barbarie dégouttante de sang, l’enivrement du carnage, le goût désintéressé, si j’ose le dire, de la destruction et de la mort ; — ici, au contraire, un profond sentiment de la justice, une grande exaltation de la fierté individuelle, il est vrai, mais aussi un grand besoin de dévouement, une exquise courtoisie. L’homme tyrannique, l’homme noir, le monstre, ne sont là, comme dans Homère les Lestrygons et les Cyclopes, que pour inspirer l’horreur par le contraste avec des mœurs plus douces ; ils sont à peu près ce qu’est le méchant pour l’imagination naïve d’un enfant élevé par sa mère dans les idées d’une douce et pieuse moralité. L’homme primitif de la Germanie révolte par sa brutalité sans objet, par cet amour du mal, qui ne le rend ingénieux et fort que pour haïr et pour nuire. Le héros kymrique au contraire, même dans ses plus étranges écarts, semble dominé par des habitudes générales de bienveillance et une vive sympathie pour les êtres faibles. Ce sentiment, les peuples celtiques le portèrent jusque dans leurs croyances religieuses. Ils ont eu pitié même de Judas. Saint Brandan le rencontra, dit-on, sur un rocher au milieu des mers polaires. Judas passe là un jour par semaine pour se rafraîchir des feux de l’enfer ; un drap qu’il avait donné en aumône à un lépreux est suspendu devant lui et tempère ses souffrances.

Si le pays de Galles a droit d’être fier de ses Mabinogion, il n’a pas moins à se féliciter d’avoir trouvé un traducteur vraiment digne de