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trésors qu’il y avait entassés. Une femme aussi distinguée par son esprit que par la haute position qu’elle occupe dans la société anglaise, lady Charlotte Guest, s’est chargée de faire connaître à l’Europe le merveilleux recueil des Mabinogion[1], la perle de la littérature galloise, l’expression la plus complète du génie kymrique. Ce magnifique ouvrage, achevé en douze années avec un soin philologique digne de l’érudit le plus consommé et ce luxe que le riche amateur anglais peut seul donner à ses publications, restera sans contredit comme l’un des plus beaux monumens littéraires de notre temps, et attestera un jour combien la conscience des races celtiques dut être encore vivace en notre siècle pour inspirer à une femme le courage d’entreprendre et d’achever un aussi vaste monument. L’Écosse et l’Irlande se sont enrichies également d’une foule de mémoires sur leur ancienne histoire. Notre Bretagne enfin, quoique trop rarement étudiée avec cette rigueur de philologie et de critique que l’on exige maintenant dans les œuvres d’érudition, a fourni aux antiquités celtiques son contingent de travaux estimables. Il y a donc dans ce domaine tout un ensemble de recherches à mettre en lumière, une série de résultats à constater, quelques-uns à contester peut-être, et telle est la tâche où nous voudrions nous essayer aujourd’hui.


I.


Si l’excellence des races devait être appréciée par la pureté de leur sang et l’inviolabilité de leur caractère, aucune, il faut l’avouer, ne pourrait le disputer en noblesse aux restes encore subsistans de la race celtique[2]. Jamais famille humaine n’a vécu plus isolée du monde et plus pure de tout mélange étranger. Resserrée par la conquête dans des îles et des presqu’îles oubliées, elle a opposé une barrière infranchissable aux influences du dehors : elle a tout tiré d’elle-même, et n’a vécu que de son propre fonds. De là cette puis-

  1. Le mot mabinogi (au pluriel mabinogion) désigne une forme de récit romanesque particulière au pays de Galles. L’origine et la signification primitive de ce mot sont fort incertaines.
  2. Pour éviter tout malentendu, je dois avertir que par le mot celtique je désigne ici, non l’ensemble de la grande race qui a formé, à une époque reculée, la population de presque tout l’Occident, mais uniquement les quatre groupes qui de nos jours méritent encore de porter ce nom, par opposition aux Germains et aux néo-Latins. Ces quatre groupes sont : 1o les habitans du pays de Galles ou Cambrie et de la presqu’île de Cornwall, portant encore de nos jours l’antique nom de Kymris ; 2o les Bretons bretonnants, ou habitans de la Bretagne française parlant bas-breton, qui sont une émigration des Kymris du pays de Galles ; 3o les Gaëls du nord de l’Écosse, parlant gaëlic ; 4o les Irlandais, bien qu’une ligne très profonde de démarcation sépare l’Irlande du reste de la famille celtique.