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d’abord abbesse de Caen, puis de Malnoue, et en dernier lieu supérieure du monastère de Notre-Dame-de-Consolation[1]. Elle a composé plusieurs ouvrages de piété, ce qui ne l’a pas empêchée de prendre part aux amusemens littéraires de Mademoiselle et aux Divers Portraits ; elle y a fait son portrait à elle-même et celui de Huet, tournés d’une façon assez galante pour une abbesse. On trouve dans les manuscrits de Conrart une correspondance inédite d’Éléonore de Rohan, qui contient plus d’un détail curieux sur la société de Mlle de Scudéry. Nous y avons surtout distingué sept lettres, où elle prend le nom d’Octavie, et qui sont adressées à un personnage qu’elle appelle Zénocrate, et qui pourrait bien être Godeau ou Pélisson. Sa naissance et son esprit donnaient de l’importance à son suffrage. La Rochefoucauld lui avait donc envoyé ses Maximes. L’aimable religieuse lui répondit par l’éloge le plus vif, sans toutefois s’engager sur le système ; elle abandonne volontiers les hommes, mais elle défend les femmes ; elle n’accorde pas du tout que leur vertu ne soit jamais que l’effet du tempérament, de la paresse, du hasard ; elle n’ose s’en prendre au caractère même de La Rochefoucauld, et elle aime mieux mettre sa triste opinion sur le compte des femmes qu’il avait connues, poursuivant ainsi, ce semble, les hostilités de sa mère contre Mme de Longueville. Elle finit en se plaignant que Mme de La Fayette et elle ne l’aient pas ramené à de meilleurs sentimens. Cette lettre[2], comme tout ce qui est sorti de la plume d’Éléonore de Rohan, est d’une correction et d’une politesse parfaites, mais, selon nous, bien inférieure à celle de Mme de Schomberg ; déjà l’élégance y remplace la grâce et l’abandon.


« Lettre de madame de Rohan, abbesse de Malnoue, à M. le duc de La Rochefoucauld, en lui renvoyant les Maximes.

« Je vous renvoye vos maximes, monsieur, en vous en rendant mille et mille grâces très humbles. Je ne les louerai point comme elles méritent d’être louées, parce que je les trouve trop au-dessus de mes louanges. Elles ont un

  1. Monastère situé dans la rue du Cherche-Midi. Elle y mourut en 1681, à l’âge de cinquante-trois ans. La religieuse qui lui succéda lui fit élever un tombeau sur lequel Pélisson grava une épitaphe vraiment touchante, qui se trouve à la fin du troisième volume de ses Lettres historiques. Huet, qui l’avait connue à Caen, en parle avec éloge dans ses Mémoires. Elle a donné au ministère de la rue du Cherche-Midi des Constitutions très admirées et qui ont été imprimées. On a aussi imprimé plusieurs des Exhortations qu’elle avait faites aux vêtures ou aux professions de ses religieuses à Caen et à Malnoue, une Paraphrase des Psaumes de la Pénitence et la Morale de Salomon, commentaire des livres des Proverbes, de l’Ecclésiaste et de la Sagesse, qui a eu plusieurs éditions du vivant d’Éléonore de Rohan et après sa mort.
  2. Brotier l’a donnée sans dire où il la prenait ni de qui elle était ; voyez son édition des Maximes, p. 191 : Lettre d’une Dame au duc de La Rochefoucauld. Nous la tirons, avec le billet inédit de La Rochefoucauld, des manuscrits de Conrart, in-folio, t. XIII, p. 1183.