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manière de parler et dans les actions qui se fait faire place partout, et qui gagne par avance la considération et le respect. » — « Une méchante manière gâte tout, même la justice et la raison. Le comment fait la meilleure partie des choses, et l’air qu’on leur donne dore, accommode et adoucit les plus fâcheuses. » — Dans la connoissance des choses humaines, nostre esprit ne doit jamais se rendre esclave en s’assujettissant aux fantaisies d’autrui. Il faut étendre la liberté de son jugement et ne rien mettre dans sa tête par aucune autorité purement humaine. Quand on nous propose la diversité des opinions, il faut choisir, s’il y a lieu ; sinon il faut rester dans le doute. » — Il n’y a rien qui n’ait quelque perfection. C’est le bonheur du bon goût de la trouver en chaque chose ; mais la malignité naturelle fait découvrir un vice entre plusieurs vertus pour le révéler et le publier, ce qui est plus tost une marque du mauvais naturel qu’un avantage du discernement, et c’est bien mal passer sa vie que de se nourrir toujours des imperfections d’autrui. »


Donnons encore une maxime qui fait voir que Mme de Sablé était bien revenue de l’enthousiasme de sa jeunesse pour l’amour platonique et pour les mœurs espagnoles, du moins en ce qui regarde la comédie :


« Tous les grands divertissemens sont dangereux pour la vie chrestienne ; mais entre tous ceux que le monde a inventés, il n’y en a point qui soit plus à craindre que la comédie. C’est une peinture si naturelle et si délicate des passions, qu’elle les anime et les fait naître dans notre cœur, et surtout celle de l’amour, principalement lorsqu’on le représente fort chaste et fort honnête ; car plus il paraît innocent aux âmes innocentes, et plus elles sont capables d’en être touchées. On se fait en même temps une conscience fondée sur l’honnesteté de ces sentimens, et on s’imagine que ce n’est pas blesser la pureté d’aimer d’un amour si sage. Ainsi l’on sort de la comédie le cœur si rempli de toutes les douceurs de l’amour et l’esprit si persuadé de son innocence, qu’on est tout préparé à recevoir les premières impressions, ou plutôt à rechercher l’occasion de les faire naître dans le cœur de quelqu’un, pour recevoir les mesmes plaisirs et les mesmes sacrifices que l’on a vus si bien représentés sur le théâtre. »


Toutes ces maximes partent assurément d’une âme bien faite, et montrent un certain talent d’observation et de réflexion ; le style en est d’une bonne qualité, le tour aisé et même agréable : c’est à peu près ainsi qu’un jour pensera et écrira Mme de Lambert ; mais chez l’une comme chez l’autre marquise la raison et l’esprit ne sont point assez relevés par le travail et par l’art, et en particulier les maximes de Mme de Sablé auraient eu besoin de recevoir d’une main exercée la concision, le tour piquant, l’arête saillante et vive, le trait qui frappe et qui dure : faute de tout cela, elles sont restées à l’état d’une médiocrité convenable.

Quand la maîtresse de la maison donnait ainsi l’exemple, on eût été assez mal venu de ne pas le suivre. Aussi, chez Mme de Sablé,