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d’autres ont popularisées. Et puis, le plus grand mérite de Beyle, c’est de haïr le vulgaire, de ne point écrire pour le vulgaire. Or on conçoit combien d’esprits sont intéressés à comprendre et à goûter le talent de l’auteur de la Chartreuse de Parme, ne fût-ce qu’afin de ne point être du vulgaire. Une des plus remarquables portions dans les œuvres de Beyle, c’est celle où il traite des arts, de la peinture, de la musique. Sous une forme singulière, bien des aperçus nouveaux et frappans se révèlent. Aussi ne faut-il point s’étonner qu’avec ce vif et curieux instinct des arts, Beyle eût une prédilection particulière pour l’Italie. L’Italie était le grand centre pour cet observateur, souvent trop peu scrupuleux, qui faisait l’anatomie de l’amour italien comme de l’art de Michel-Ange.

L’Italie qu’observait Beyle en humoriste sceptique et épicurien est-elle la même qu’on pourrait observer aujourd’hui ? Sans doute, il est des traits de nature qui ne changent pas. Le caractère et la vie sociale d’un peuple sont plus lents à se transformer. Depuis cette époque cependant, que d’événemens se sont accomplis qui provoquent d’autres réflexions ! L’Italie bouleversée, les gouvernemens renversés ou chancelans, la guerre se mêlant aux révolutions, telle est l’histoire de ces dernières années, et c’est sous le poids des fautes commises durant cette cruelle période que vit aujourd’hui l’Italie. Des tentatives de rénovation inaugurées il y a cinq ans, la seule qui soit restée intacte, c’est celle qui a transformé le Piémont. Ce n’est pas que là même il n’y ait aucune difficulté; mais du moins le pays se développe à l’abri d’institutions respectées jusqu’ici par les partis comme par le gouvernement. Aujourd’hui le parlement piémontais, sorti des récentes élections, est en pleine session. C’est à la fin du mois dernier qu’il était ouvert par le roi, lequel s’est montré dans son discours plus que jamais décidé à respecter le régime constitutionnel institué par Charles-Albert. Les réponses des deux chambres sont empreintes des mêmes sentimens, et n’ont donné lieu à aucune discussion sérieuse. Dans le sénat seulement, M. Alberto Ricci a développé quelques considérations relativement à la situation financière du pays et aux affaires ecclésiastiques. Ce sont là en effet les deux questions les plus graves pour le Piémont. Quant à la situation des finances, l’exposé récemment soumis aux chambres par M. de Cavour peut en donner une idée. La réalité est que sur un budget de 149 millions il y a pour 1854 près de 25 millions de déficit. Depuis quelques années, bien des réformes économiques ont été faites, des impôts nouveaux ont été créés : il résultera sans doute de ces mesures des effets bienfaisans; mais pour le moment le déficit subsiste, et on conçoit que les chambres, comme le gouvernement, se préoccupent de cette situation financière, d’autant plus sensible dans les conditions rigoureuses où se trouve le Piémont comme beaucoup d’autres pays, plus que d’autres pays peut-être. Cela est si vrai que de cette situation difficile, des griefs des populations contre certains impôts, de la misère actuelle, il est sorti récemment une sorte d’émeute dans la vallée d’Aoste, émeute heureusement peu grave et promptement apaisée. On a voulu expliquer ces mouvemens populaires par les instigations des partis; il est bien plus simple d’en chercher la véritable cause dans les conditions rigoureuses où vivent les populations, comme aussi il est sage de porter une attention prévoyante sur cet état, sur