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poursuivaient en Europe et en Asie entre les armées russes et ottomanes. Dans les régions danubiennes, la guerre semblait se concentrer du côté de Kalafat. C’est là du moins qu’ont eu lieu divers engagemens sur lesquels il y a jusqu’ici peu de lumières, et dont aucun d’ailleurs ne mérite le nom de bataille. Sur un autre point du Danube cependant, à Matchin, les troupes russes paraissent avoir échoué devant les batteries turques. Sur la frontière asiatique, l’armée ottomane est sous le coup des récentes défaites d’Akhalzik et d’Alexandropol; elle n’a rien tenté depuis, et s’est retirée à Karz. Bien qu’il faille faire la part de l’exagération dans les bulletins russes quant à l’importance de ces victoires et au nombre des morts laissés par les Turcs sur le champ de bataille, il y a pourtant de ces faits qui dénotent ce qu’il y a de difficile à maintenir dans une certaine discipline ces masses irrégulières jetées dans l’armée ottomane. Un général que les uns nomment Selim-Pacha, les autres Veli-Pacha, a été massacré par ses soldats au moment où il voulait les ramener au combat. Il est résulté de ces opérations malheureuses de l’armée d’Anatolie la destitution du général en chef Abdi-Pacha, dont la mollesse et l’incapacité n’ont pas peu contribué à ces revers, il a été remplacé par un de ses lieutenans, Ahmet-Pacha. Toutefois ces faits eux-mêmes, quelque graves qu’ils soient, auraient eu sans nul doute moins d’importance sans le combat naval, plus désastreux encore, de Sinope, qui a provoqué l’entrée des flottes anglaise et française dans la Mer-Noire.

Ainsi, en Europe, l’armée du Danube se maintient dans ses positions, sans gagner du terrain, il est vrai, mais aussi sans reculer; en Asie, l’armée turque a des revers à effacer sous un nouveau chef. Quant aux côtes de l’empire ottoman, elles sont aujourd’hui sous la garde de la France et de l’Angleterre. C’est là ce qu’on pourrait appeler la part de l’action dans les affaires d’Orient, et c’est au moment où ces faits s’accomplissaient que les propositions diplomatiques émanées de Vienne arrivaient à Constantinople. Le divan a eu la sagesse d’y adhérer après plusieurs grands conseils où ont été appelés tous les grands dignitaires de l’empire, les anciens ministres, les généraux. En quoi se résumaient d’ailleurs ces propositions ? Elles posaient pour bases des négociations à ouvrir l’évacuation des principautés, le renouvellement des anciens traités entre la Russie et la Turquie, la confirmation des firmans relatifs aux privilèges spirituels des communautés chrétiennes, l’adoption définitive de l’arrangement relatif aux lieux saints. La porte déclarerait qu’elle est prête à nommer un plénipotentiaire, à signer un armistice et à négocier. Elle s’engagerait à développer le système d’une administration intérieure protectrice pour tous ses sujets indistinctement. D’un autre côté, les puissances renouvelleraient la déclaration de garantie stipulée par le traité du 13 juillet 1841 dans l’intérêt de l’intégrité et de l’indépendance de l’empire ottoman. Le fait le plus notable qui doit découler de cette situation nouvelle, c’est que désormais l’Europe, en même temps qu’elle couvrirait la porte de sa garantie, acquerrait sur l’ensemble des communautés chrétiennes de l’Orient un droit général de protectorat que la Russie prétend seule exercer aujourd’hui. Quand nous disons que le divan a eu la sagesse d’adhérer à ces propositions, il faut bien lui en tenir compte, puisqu’il a eu, à la suite de sa décision, à réprimer une émeute heureusement