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sensiblement. On les voit se projeter sur les flancs des montagnes situées en face de soi en des points de moins en moins élevés. Ce qui ralentit leur chute, c’est la grande action, le grand frottement que leurs plumes, d’après leur forme hérissée de mille saillies, exercent sur l’air environnant. J’ai examiné sous ce point de vue une grande plume d’aigle de l’Himalaya qui m’avait été donnée, à Londres, dans les bureaux de la compagnie des Indes orientales. La résistance que ce corps éprouvait par l’air, quand on l’y agitait un peu rapidement, était réellement étonnante : en disposant cette plume comme volant sur un appareil de rotation, son effet était quatre ou cinq fois plus grand que celui d’une feuille de papier de même dimension. Ainsi un oiseau qui étend les ailes, mais sans faire de mouvement, descend peu, à cause de la résistance de l’air sur les plumes de ses ailes, mais il descend, et ce mouvement est surtout sensible pour un observateur qui le rapporte à un fond situé en face et non pas sur le ciel, à une distance difficilement appréciable. Je dois à une excellente observation de M. le général de division Niel la solution de cette question tant débattue. En suivant au télescope les vautours planant au-dessus des campagnes de l’Algérie, le général reconnut de petits frémissemens à peine sensibles dans les ailes de l’oiseau, qui se maintenait à une hauteur invariable. Ces petits frémissemens, vu la distance, étaient réellement de très petits mouvemens des ailes, qui, d’après ce que nous avons dit de l’énergie de ces premiers petits mouvemens, suffisaient pour soutenir l’oiseau, ou pour lui faire regagner promptement ce qu’il avait pu perdre en élévation. Je pourrais facilement trouver dans les mouvemens des quadrupèdes, des reptiles et des poissons de nombreux exemples de ces premiers petits mouvemens, si forts et si rapides, quoique peu étendus. On pourrait les appeler mouvemens naissans, et dire que, d’après l’organisation des animaux, tout mouvement naissant est, à l’origine, et très fort et très rapide.

Si l’on veut encore un autre énoncé de la même vérité, je dirai que quand, par exemple, on lève le bras suivant l’expression familière, en réalité on le lance, car le bras part avec vitesse pour atteindre la hauteur qu’on veut lui donner, et cela est si vrai que tout le monde connaît le peu de force comparative qu’ont les muscles du bras pour opérer à bras tendu. On eu dira autant de la marche. On ne lève pas non plus le pied pour marcher en avant : on le lance. Si, après la pluie, on parcourt les allées sablées d’un jardin ou d’un parc, de manière qu’il y ait un peu d’adhérence entre la chaussure du promeneur et les petits cailloux du sable, il sera impossible, quelque lentement que l’on marche, de ne pas produire le bruit résultant du lancement en avant de ces petits cailloux qui s’attachent à la semelle de la chaussure. Ce bruit contrarie sensiblement toute personne qui a des prétentions à la délicatesse de la marche, et surtout les dames françaises. Cette observation a été faite des milliers de fois dans le jardin des Tuileries. Le fait le plus extraordinaire que je puisse citer est celui d’un homme de très haute taille donnant un coup de poing à bras raccourci sur la tempe d’un homme très fort mais de bien plus petite taille que lui. Tous les témoins s’accordaient à dire que le coup mortel n’avait pas pu être lancé d’une distance seulement égale