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intérieurs de Mme  de Longueville, il n’y a pas l’ombre d’un système de théologie. C’est une de ses amies, Mlle  de Vertus, la noble sœur cadette de l’indigne duchesse de Montbazon, la digne tante de l’abbesse de Caen et de Malnoue, c’est surtout Mme  de Sablé, logée au Port-Royal de Paris, à deux pas du couvent des Carmélites, qui lui apprirent assez tard ce que c’était que le jansénisme. Elle ne prit pas d’abord grand intérêt à cette querelle obscure et compliquée, étrangère à toutes ses habitudes ; mais peu à peu il lui fallut bien faire attention à des questions qui agitaient le dernier asile de son amie. Elle s’indigna aussi d’une persécution qui tombait sur des femmes dont la vie était sainte. Elle voulut voir la mère Angélique, et en découvrant tant de vertus, cette candeur et cette force qui lui rappelaient la mère Madeleine de saint Joseph, l’objet de la vénération de sa première jeunesse, ce zèle désintéressé de la vérité, ce courage prêt à tout, cette grandeur d’esprit et de caractère, cet héroïsme chrétien, la sœur de Condé fut touchée jusqu’au fond du cœur ; tous ses instincts se réveillèrent, et elle devint janséniste par générosité, par admiration, par amitié. Elle commença par être assez modérée ; elle fut d’avis de signer le fameux formulaire. Son expérience des affaires et de la cour lui fit donner les meilleurs conseils à Port-Royal ; mais la persécution s’accroissant, sa nature ardente et fière l’engagea bientôt plus avant Elle condamna sa première modération, revint sur ses conseils, se déclara pour la résistance, prit ouvertement le parti des vaincus, et, plus tard, à force de zèle, de persévérance, d’habileté, elle parvint à obtenir du pape et du roi, en 1669, une paix honorable qu’elle maintint jusqu’à sa mort. Après elle, la persécution, dix ans suspendue, recommença, et Port-Royal, sans appui, succomba pour ne jamais se relever.

Mais ne devançons pas les temps. Nous en sommes à l’année 1659 ; Mme  de Longueville n’est pas encore janséniste, et Mme  de Sablé l’est fort modérément. Elle menait à Port-Royal de Paris une vie pieuse, mais agréable et fort douce. Elle s’y était fait bâtir un corps de logis séparé du monastère, mais renfermé dans son enceinte, et là elle s’occupait de la grande affaire de son salut, sans en négliger aucune autre, le soin de sa santé, le goût de toutes les délicatesses, y compris la friandise, celui de la belle littérature, surtout la passion d’un certain crédit pour soi, pour ses amis, pour tout le monde. Toujours bien avec le ministère, elle ménageait aussi l’opposition, comme on dirait aujourd’hui, et recevait d’anciens frondeurs, devenus de fins courtisans. Elle voyait la meilleure et la plus haute compagnie. Elle avait fait de son appartement à Port-Royal un autre hôtel de Rambouillet en petit, très-aristocratique, encore un peu galant, toujours très-bel esprit, d’une dévotion élégante et d’abord assez peu sévère. Il