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remarque en elle d’autre mouvement que le rapide va-et-vient de sa main droite conduisant l’aiguille. Le costume de la jeune ouvrière est des plus humbles ; mais il est ajusté avec tant de goût, et tout en elle est si pur et si gracieux, qu’une atmosphère de fraîcheur et de joie semble l’envelopper comme une auréole.

Pauvre Lénora, c’est donc là le sort qui t’était réservé ! Cacher ta noble origine sous l’humble toit d’un artisan, chercher loin du lieu de ta naissance un refuge contre l’insulte et le mépris, travailler sans relâche, lutter contre le besoin et les privations, s’affaisser sous le poids du chagrin et de la honte, le cœur déchiré par les inguérissables blessures de l’humiliation et du désespoir. Ah ! sans doute la misère a donné à ton charmant visage des tons jaunes et blafards ; la tristesse a brisé ton âme et ôté à ton regard son doux et rayonnant éclat, fleur mourante, rongée par un mal caché !… Oh ! non, Dieu merci, il n’en est pas ainsi. Le sang héroïque qui coule dans tes veines t’a rendue forte contre le destin. Ton angélique beauté est plus saisissante encore qu’autrefois. Si ta vie, renfermée dans un étroit espace, a fait perdre à ton teint ses bruns reflets, la douce expression de ton visage n’en est que plus touchante, ton beau front n’en est que plus pur et plus éclatant, les teintes rosées de tes joues n’en sont que plus fraîches. Ton œil noir rayonne encore, plein de feu et de vie, sous tes longs cils ; ta bouche fine et charmante a gardé toutes les séductions de son doux et virginal sourire.

Peut-être ton cœur renferme-t-il un trésor de courage et d’espérance, peut-être une image chérie flotte-t-elle encore devant ton regard. N’est-ce pas à la source du souvenir que tu puises la force de lutter victorieusement contre l’adversité ? Voyez ! un songe s’empare de la jeune fille. Sa main s’arrête ; elle ne travaille plus. La tête inclinée sur son ouvrage, elle semble regarder fixement le sol ; son âme, emportée vers d’autres contrées, s’abandonne au courant d’une douce et aimante rêverie. Elle dépose la toile sur la chaise et se lève lentement. Penchée vers la fenêtre, elle contemple un instant ses humbles fleurs, cueille une marguerite et l’effeuille avec distraction ; puis son regard plonge dans l’espace et va s’arrêter sur un châtaignier dont la cime séculaire s’élève au milieu des toits. La vue de ce feuillage trop connu impressionne vivement son cœur ; un incompréhensible sourire apparaît sur ses lèvres, ses yeux se remplissent de larmes ; en proie à une ardente surexcitation morale, elle respire à pleine poitrine l’air frais du printemps et les chaudes effluves du soleil. L’expression de sa physionomie change souvent ; on dirait que son imagination la transporte au milieu d’êtres aimés, et qu’elle leur parle de joie et de bonheur. Ses lèvres balbutient un nom inintelligible qu’accompagne chaque fois un sourire languissant. Peut-être murmure-t-elle le nom de son bien-aimé absent.

Bientôt son regard s’attache avec compassion sur l’oiseau qui sautille avec inquiétude autour de la cage et s’efforce de briser à coups de bec le treillage de sa prison.

— Pourquoi cherches-tu à nous quitter, cher petit oiseau ? dit-elle d’une voix douce. Pourquoi veux-tu partir, toi, notre fidèle compagnon dans nos tristesses ? Réjouis-toi donc ! Mon père est guéri ! La vie va redevenir pour nous chère et heureuse… Qu’est-ce donc qui te fait voler tout haletant dans